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Deux principes, nulle substitution

Par Carolina Koretzky
11 février 2024
Deux principes, nulle substitution

© Geoffroy MATHIEU

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L’aphorisme Tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant nous conduit inexorablement à interroger le rapport du sujet à ce qu’on appelle la réalité. Invitée à ouvrir une perspective conceptuelle pour notre prochain congrès de l’AMP, c’est le terme de « réalité » qui a retenu mon attention. Objet d’étude pour Freud, le lien que le psychique entretient avec la réalité est une thématique très vaste. Je pointerai ici la complexité et l’intérêt à porter aux textes fondamentaux chez Freud et chez Lacan.

Lors du discours de clôture des dernières Grandes Assises virtuelles, Jacques-Alain Miller signale le paradoxe suivant : d’une part, Lacan attribue à Freud l’idée que tout n’est que rêve, de l’autre, il nous rappelle le terme d’épreuve de réalité qui se trouve dans le texte de 1911 « Formulations sur les deux principes des événements psychiques ». Le paradoxe se dissout du moment où Freud montre qu’on aurait tort à opposer le principe de plaisir et le principe de réalité : la mise en fonction du principe de réalité ne s’effectue qu’à partir de ce qu’il appelle des « exigences impérieuses des besoins intérieurs1 » : ce qui était désiré était posé de manière hallucinatoire, et c’est par un défaut de satisfaction par la voie hallucinatoire que le sujet ouvre les yeux au monde. La mise en route du principe de réalité n’est absolument pas une imposition venant de l’extérieur, mais de l’intérieur : c’est justement parce que le principe de plaisir ne marche pas complètement que le détournement vers la réalité matérielle a lieu dans le but d’obtenir une satisfaction. Dans une lecture lumineuse, J.-A. Miller montre que c’est le mot d’ordre « jouis ! » qui fait ouvrir les yeux du sujet à la réalité2 ; c’est parce qu’il y a un manque de jouissance que le détour par la réalité n’est qu’au service de la poursuite de la jouissance. Nulle substitution d’un principe sur l’autre, pas de rupture, mais continuité3.

De même, en 1915, dans « Pulsions et destins de pulsions », la construction de la réalité psychique se pose initialement en termes d’un rejet du déplaisir vers le monde extérieur même quand il s’agit des sensations internes. Ce « moi-plaisir purifié » rejette tout ce qui vient perturber l’homéostasie. Le monde extérieur accueille ce qui est expulsé de soi, cet Autre en soi. L’épreuve de réalité ne divise pas les eaux, les frontières se brouillent, car c’est la quête d’une satisfaction qui commande : le sujet « a isolé, hors de son propre moi, un élément qu’il jette dans le monde extérieur et ressent comme hostile »4, mécanisme primitif de la haine et de toutes les ségrégations.

Dans un troisième texte fondamental de 1924, « La perte de la réalité dans la névrose et la psychose », Freud affirme que « la névrose ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d’elle5 ». Au moment où Freud interroge quel type de rapport le psychique établit avec la réalité, il rencontre le problème de l’évitement. Le sujet entretient avec la réalité un rapport d’évitement où il s’agit de « remplacer la réalité indésirable par une réalité plus conforme au désir6 », et le monde fantasmatique prend le relais. Dans plusieurs occurrences, en particulier, dans son Séminaire XX, Lacan démontre le caractère de défense de la réalité face au réel.

Certes, on ne rêve pas seulement quand on dort. Ce rêve partagé est fait de discours, de représentations, de fantasmes, bref, de désir. La vie est un songe qui s’ignore étant donné que nous sommes des êtres appareillés au langage et à la jouissance qu’on y tire. L’exception sera le trauma, irruption abrupte et inattendue qui troue le réseau de nos significations, et déchire le rêve, tissu de notre réalité, mais uniquement pour un bref instant.

« La réalité est ce sur quoi on se repose pour continuer à rêver7 », affirmait Lacan. Ce « ça rêve » définit la particularité du rapport du sujet à la réalité en tant que le fantasme est le gardien de la jouissance propre à chacun. Thèse freudienne, donc. Ce qu’on appelle « le monde extérieur », c’est le lieu de quête d’un objet compensatoire face à une satisfaction perdue. Ce qui amène Lacan à dire que « tout ce qu’il nous est permis d’aborder de réalité reste enraciné dans le fantasme8 ». Cette dernière phrase me permet de poser la question que j’ai envie d’approfondir lors de notre prochain congrès, elle concerne la fin de l’analyse. Certes, tout le monde délire, la réalité est enracinée dans le fantasme.

Mais à la fin, l’appel à la complémentarité perd sa consistance, c’est l’effet de séparation d’avec l’Autre et de la révélation de l’objet, le sujet peut apercevoir quel est cet objet qu’il a déposé dans le champ de l’Autre et par lequel il s’est employé à « restaurer sa perte originelle9 », donc, pulsion. Mais comment vit-on la pulsion après ce désinvestissement pulsionnel ? Délire-t-on toujours de la même manière ? Assurément, on ne se réveille jamais, tout discours est hypnotique. Je me demande si la perspective du sinthome n’ouvre pas une autre voie ? L’Autre n’est plus le dépositaire de la propre cause, le rapport à la réalité n’est pas soutenu par la quête d’une satisfaction compensatoire, mais par une forme de satisfaction dégagée comme incurable, une manière de s’avancer seul dans le monde à partir de sa propre « palpitation ». Ce terme, souligné dans un texte de Simone Souto10 est présent dans la leçon du 13 décembre 2006 du cours de J.-A. Miller, plus spécifiquement, « la palpitation d’une jouissance11 ». Peut-on donc envisager que la fin de l’analyse ouvre vers un passage qui irait de la tentative de récupération à la palpitation ? Ce qui palpite, témoin d’un corps marqué d’un irrémédiable, serait-il une autre manière de vivre la pulsion ?

Carolina Koretzky


[1] Freud S., « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques », Résultats, idées, problèmes, I, Paris, PUF, 1984, p. 136.

[2] Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Cause et consentement », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 25 mai 1988, inédit.

[3] Cf. Freud S., « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques », op. cit., p. 140. « [L]a substitution du principe de réalité au principe de plaisir ne signifie pas une suppression du principe de plaisir mais seulement une façon d’assurer celui-ci ».

[4] Cf., Freud S., « Pulsions et destins de pulsions », Métapsychologie, Paris, Payot, 2023, p. 37.

[5] Freud S., « La perte de la réalité de la névrose et dans la psychose », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 301.

[6] Ibid., p. 302.

[7] Lacan J., « Discours à l’École freudienne de Paris », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 280.

[8] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 87.

[9] Lacan J., « Position de l’inconscient », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 849.

[10] Souto S., « Réalité », in Miller J.-A. (s/dir.), Scilicet. Un réel pour le XXIe siècle, Paris, École de la Cause freudienne, 2013, p. 283.

[11] Miller J.-A., « “De l’inconscient au réel” : une interprétation », Quarto, n°91, novembre 2007, p. 61.

Numéro : L'Hebdo-Blog 327
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