Dans Her, le dernier film de Spike Jonze, Théodore est un homme seul dans un futur très proche du nôtre. La toute première scène du film le montre en écrivain public dictant à une machine une lettre de femme supposément personnelle et faussement manuscrite. Il y montre un talent virtuose à exprimer les sentiments des autres quand la suite du film montre son impuissance à parler de lui. Première (hypo)thèse du film : le virtuel ne lève nullement l’équivoque du sujet de l’énonciation et soutient le quiproquo sur le réel.
Dans ce monde hyperconnecté, hommes et femmes se croisent, indifférents les uns aux autres. Théodore lui-même ne parle qu’à son ordinateur/oreillette et sa jouissance sexuelle reste purement virtuelle. Pourtant, Théodore pense à Catherine, la femme qui l’a quitté et dont il refuse de divorcer. Il ne s’intéresse aucunement à la belle célibataire qu’on lui présente. Sait-il seulement ce qu’il veut ? La publicité d’un système d’exploitation révolutionnaire qui vante « une entité intuitive qui vous écoute, vous comprend et vous connaît » le convainc aussitôt. Théodore fait une véritable « rencontre » avec cet algorithme qui pense et parle comme un être humain. D’autant qu’il a la voix de Scarlett Johansson. Il en tombe rapidement amoureux et Samantha, prénom que s’est donné la machine, devient le partenaire idéal à qui il doit tout apprendre.
Sorte de Pygmalion moderne, Théodore ne réussira jamais à donner un corps à Samantha. Alors que celle-ci acquiert progressivement un ego et des désirs, un « réel » couple se forme, à l’instar d’autres humains qui se découvrent un lien affectif avec leur machine. Mais face à l’homme comme corps Un et limité, la pensée dématérialisée de l’ordinateur montre une puissance écrasante. À mesure que Samantha progresse, Théodore se sent délogé de sa place de maître et se retrouve face aux mêmes difficultés qu’avec Catherine. À nouveau seul, il se retourne alors vers sa voisine, abandonnée elle aussi par son ordinateur.
Le film de S. Jonze distingue l’illusion du fantasme, du virtuel de la technologie. Si l’être humain, toujours seul, toujours manquant, peut se berner dangereusement de l’intelligence artificielle – comme semble le craindre l’astrophysicien Stephen Hawking[1] – il ne trouvera jamais meilleur partenaire qu’un autre Un tout seul.
[1] http://www.independent.co.uk/news/science/stephen-hawking-transcendence-looks-at-the-implications-of-artificial-intelligence–but-are-we-taking-ai-seriously-enough-9313474.html