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Trois questions à Evgen Bavčar

Par Françoise Haccoun
28 avril 2024
Édito

© Evgen Bavčar

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Photographe reconnu internationalement, atteint de cécité depuis l’âge de 12 ans, Evgen Bavčar se définit comme philosophe et artiste conceptuel.

Vous dites de vous-même « Je suis le degré zéro de la photographie ». Comment entendre cela ?

La question fondamentale est celle-ci : qu’est-ce que la cécité et que signifie être aveugle ? Mon ami le grand philosophe français Jacques Derrida avance dans son livre Mémoires d’aveugle. L’autoportrait et autres ruines, que quand on dessine, on dessine aussi à l’aveugle. Pour lui, être aveugle est la condition première, préalable à la capacité de voir.

Partons du concept de la photographie. Il est à noter qu’aucun appareil photo n’est conçu pour une personne non-voyante ou un gaucher. Les appareils photos modernes sont si compliqués qu’ils contiennent presque trop de paramètres.

Comment commence le concept d’un monde ? Bien que je ne vois rien, je perçois des informations à travers les mots, par la machine ou par d’autres choses. Je ne suis pas un photographe, je photographie, ou plutôt quelque chose photographie ; je suis quelque chose photographiant. C’est en cela que je me définis comme un artiste-conceptuel. Car un photographe doit regarder à travers un appareil photo. Pour moi, ce n’est pas l’essentiel. Je prends la photo très au sérieux, je la prends à l’état zéro. Je ne regarde pas. Je règle l’appareil et je photographie. La photographie dans mon cas, c’est plutôt photographein, ce qui veut dire en grec « écrire avec la lumière » ; mes photos en sont le reflet.

Au-delà de ce que les yeux peuvent percevoir, votre œuvre nous convie à une expérience sensible du visible. Quel en est le fondement selon vous ?

Dans mon expérience de la cécité, il y a aussi une référence commune puisque j’ai été voyant jusqu’à mes douze ans. En devenant aveugle, ne pouvant plus percevoir la lumière, le monde s’en est allé. Il m’a alors fallu m’accrocher à la croyance que quelque chose de ce monde me restait, le monde temporel, qui n’est pas le monde éternel de la transcendance mais le temporel, comme l’on dit en français. Ce monde temporel, je ne l’ai pas perdu. J’ai vu, et je ne verrai plus jamais ; c’est à cela que je dois penser.

Plutôt que de faire des photos, je préfère dire que je rends les photos visibles, en les mettant à disposition. Elles sont l’expression de mes visions intérieures, comme par exemple pour les rêves, quand on se demande ce qui les éclaire, quelle lumière les produit et quelle réalité fait-elle surgir ? Cela ne provient pas de l’extérieur mais de notre monde intérieur. Bien sûr, il peut s’agir d’une source lumineuse extérieure qui est intériorisée. Nos rêves sont ainsi traversés par une lumière transcendantale.

En premier lieu, il me faut avoir une idée précise de ce que je veux photographier. Que puis-je saisir à travers mon appareil ? Évidemment, mon appareil photo est une camera obscura mais on peut aussi dire que je suis moi-même une chambre noire. Devant moi, il y a une chambre noire et, derrière elle, il y a moi en tant que chambre noire. Il n’y a donc pas d’opérateur derrière cette chambre noire. Je me trouve doublement dans l’obscurité : à un niveau purement technique avec mon appareil, et à un autre niveau, dans ma tête, avec mes pensées d’où j’essaie de photographier quelque chose.

Au-delà de son importance comme objet, le miroir occupe une fonction très particulière pour vous ?

Je suis un miroir qui ne répond pas, à entendre de façon métaphorique. Mais on se regarde dans le miroir des autres, c’est le plus important.

Vous connaissez la célèbre phrase où Lacan cite Antoine Tudal :

Entre l’homme et l’amour,

Il y a la femme.

Entre l’homme et la femme,

Il y a un monde.

Entre l’homme et le monde,

Il y a un mur.1

Pour ma part, je pose sur ce mur de temps à autre une photo. Oui, le miroir est pour moi un objet très mystique. Quand on me demande comment j’ai perdu la vue, et que je veux répondre de façon poétique, je dis : mon miroir personnel s’est brisé en mille morceaux et à présent il me faut le reconstruire. C’est pourquoi je voulais aussi montrer ma nièce dans un miroir brisé, car ainsi je lui construis une image. Une image n’est jamais donnée, elle doit être à construire. Quand quelqu’un me décrit quelque chose, il doit en passer par une multitude de détails ; cela est aussi une construction. Une description est une construction à partir de laquelle je fabrique une réalité incomplète. Je vous dirai aussi que ma main est mon regard rapproché qui va vers les objets, qui va vers l’autre.

Questions posées par Françoise Haccoun


[1] Ce poème d’Antoine Tudal a été publié dans un ouvrage collectif intitulé Paris en l’an 2000, Paris, Éditions littéraires et artistiques, 1945, cité par J. Lacan, in « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 289 & Je parle aux murs, Paris, Seuil, 2011, p. 98.

Numéro : L'Hebdo-Blog 335
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