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Des traumatismes comme entraves au « faire couple »

Des traumatismes comme entraves au « faire couple »

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Lise, quarante cinq ans, belle, cultivée, très anxieuse, est venue en analyse peu après la mort de son père, professeur de théologie à l’université. Elle vit seule, n’a pas d’enfant et ne s’est pas mariée alors que c’était le but de son existence, son métier de journaliste étant secondaire pour elle. Elle me parle de son enfance, et d’un souvenir traumatique précis : alors qu’elle était âgée de sept ans, le jardinier de ses parents s’était masturbé devant elle. Elle n’avait rien raconté de peur que sa mère ne fasse un scandale qui nuirait à la femme de ce jardinier, qui était sa nourrice et qu’elle aimait beaucoup. Elle avait aussi gardé le silence quand ses frères aînés l’avaient forcée à des jeux sexuels, quelques années plus tard. Devenue adulte, elle n’a eu de relations qu’avec un metteur en scène alcoolique qui la battait, puis avec un ethnologue qui lui imposait une pratique sexuelle mortifiante pour sa subjectivité, lui rappelant de douloureuses piqûres que sa mère, infirmière, lui faisait pour une pneumonie à dix-huit mois. À cet âge, ses parents l’avaient mise dans un sanatorium où elle s’était crue abandonnée pendant plusieurs semaines. Elle a construit sa féminité en opposition à cette mère qui la terrifiait et en s’inspirant beaucoup de personnages de romans.

C’est de son père, très érudit et attentif à ses demandes, qu’elle s’était rapprochée depuis sa toute petite enfance, et même après qu’il eût commis une « faute » peu de temps avant l’agression du jardinier. Elle se promenait en pensant au mariage quand le fils du jardinier, petit garçon de son âge, était justement apparu au tournant d’une allée. Elle lui avait aussitôt demandé s’il voulait l’épouser et il avait acquiescé. Leurs mères jouant le jeu avaient organisé un goûter en guise de cérémonie. La mère de Lise lui avait cousu une robe blanche visible sur une photo qu’elle me montra avec émotion. La petite fille s’était crue mariée, mais hélas son père, provisoirement absent, avait démoli ce bel édifice imaginaire dès son retour après que la mère le lui eût raconté. Il avait fait mine de s’étonner : « Tu n’es pas avec ton mari ? Où est-il ? » Et il avait continué de plaisanter sans attendre sa réponse en faisant remarquer à la ronde sur un ton de reproche qu’elle ne « dormait pas la nuit dans un lit avec son mari ». Ses frères aussi se moquèrent d’elle. Se sentant humiliée et honteuse elle déclara ne plus jamais vouloir en parler. « Bien » avait maladroitement répondu le père, entérinant la blessure de son enfant.

Le lendemain, sa mère lui déclara sèchement qu’elle se marierait quand elle serait grande. Cet adjectif lui est resté comme une condition de son éventuel mariage. Elle se souvient que, dans son esprit d’enfant, ce dit de sa mère supposait qu’elle avait commis une faute en se mariant petite. Même à l’âge adulte, le doute subsistait : il lui arrivait encore de se demander si elle n’avait pas été vraiment mariée.

Lise dit que c’est son amour pour son père idéalisé qui l’a sauvé de l’autodestruction. Elle n’est pas suicidaire. Et bien que son père l’ait peu protégée de la dureté – attestée par certaines anecdotes qu’elle me raconte – de sa mère à son égard, il l’a soutenue dans ses études et a eu une fonction pour elle : le commentaire un peu trivial de son père à propos de son mariage entrave sa recherche d’un partenaire. On peut supposer que ce souvenir, qui met en scène le père, lui tient lieu de défense fantasmatique. Il voile le réel hors sens auquel elle est confrontée lors de la rencontre sexuelle. Avec ce souvenir, qu’elle reconstruit en analyse, elle parvient peu à peu à mettre un sens aux péripéties de sa vie amoureuse.

Grâce à son analyse, qui dure depuis plusieurs années, elle ordonne ses souvenirs, ce qui lui permet de commencer à lire les difficultés qu’elle rencontre. Ainsi, elle se souvient de certaines informations qui avaient révélé que la malveillance de sa mère remontait à l’époque où elle était enceinte de Lise. Soupçonnant son mari d’être attiré par une autre femme, elle l’avait rejeté ainsi que sa fille, sans pour autant s’en séparer car ses convictions religieuses le lui interdisaient. Elle avait souffert d’abandon, elle aussi, élevée par une tante loin de ses parents pendant une guerre. À partir du moment où, en séance, Lise parvient à cerner une volonté mauvaise de la part de l’Autre, son angoisse d’être abandonnée diminue. Elle peut répondre à sa mère et n’est plus confrontée à l’énigme du désir de l’Autre. Elle a des clés pour comprendre pourquoi l’Autre la quitte. Elle peut commencer à voiler, avec des semblants, le réel obscène qui faisait effraction dans sa vie.

Récemment Lise a eu une relation amoureuse sans violence et donc « normale » avec un homme qui lui plaisait, mais qui assez vite l’ennuya car elle le trouvait immature et insuffisamment cultivé. Ses ruptures amoureuses avaient toujours été torturantes pour elle car elle en pesait chaque fois le pour et le contre pendant des mois ou des années, l’abandon la terrorisant autant que la souffrance. Pour la première fois, au contraire, c’est elle qui a quitté. Elle a pu prendre l’initiative de la rupture, n’étant plus « celle que l’on abandonne ». Elle espère toujours une nouvelle rencontre pour « faire couple ». Elle a quitté, pour un autre journal, le magazine de mode où elle travaillait jusqu’ici. Elle est satisfaite d’y côtoyer des hommes. En effet ses collègues, auparavant, étaient surtout des femmes.

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Les ondes de la diffusion

Être en couple

Être en couple est le produit d’un dit qui entérine une accolade, qui à l’occasion peut s’avérer traumatique.

Dans ce numéro spécial de L’Hebdo-Blog vers les J45, vous découvrirez la manière dont deux délégations ACF (Méditerranée-Alpes-Provence et Midi-Pyrénées) s’y sont prises pour décliner le thème « Faire couple ».

Comment se construit la liaison inconsciente à partir du nouage du désir et de la jouissance, tissant les fictions indispensables pour que ce nouage tienne?

Comment se défait le lien, quelles en sont les conséquences?

De quelle manière la psychanalyse s’intéresse-t-elle à ces deux mouvements contraires intrinsèquement compromis l’un avec l’autre et comment en rend-elle compte?

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L’« apéritif » de Sonia Chiriaco

L’« apéritif » de Sonia Chiriaco

Après-midi préparatoire aux J 45

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Lors de cet ultime rendez-vous de l’ACF-MAP avant les vacances d’été, il s’agissait d’offrir aux participants un « apéritif » – au sens étymologique d’ouverture – pour les inciter à se rendre aux J 45. C’est chose faite grâce à l’exposé de Sonia Chiriaco. Son titre, On ne parle que de ça, et le sous-titre qui arrive après, Mais en parle-t-on aujourd’hui comme au temps de Freud ou même au temps du Lacan de 1973 ? annoncent son ambition : balayer l’ensemble de la doxa à partir de cette thématique du couple contemporain. Cet exercice périlleux se révèle exemplaire de rigueur et de limpidité.

L’amour au XXIe siècle

Un constat, d’abord : « Les relations sexuelles débutent précocement et longtemps avant l’état amoureux. » C’est ce dernier qui pose problème.

Puis la thèse se construit en deux temps. Reprenant le texte princeps de Freud sur le ravalement amoureux[1], S. Chiriaco démontre que la disjonction entre le courant tendre et le courant sensuel, entre l’objet d’amour et celui qu’on désire, existe toujours. Cependant, l’époque contemporaine, en libérant la sexualité grâce à la brèche ouverte par la psychanalyse, prescrit la jouissance d’abord, ce qui complique l’accès à l’amour, qui devient second, idéalisé. Le désir, court-circuité, fait les frais de cette nouvelle donne.

Le célèbre aphorisme lacanien s’énonce alors, à rebours : « Le désir permet à la jouissance, sous certaines conditions, de condescendre à l’amour. »

Le partenaire amoureux au XXIe siècle

Quelles sont ces « conditions d’amour » ? Retour à Freud qui souligne la présence d’un trait précis pour fonder le choix amoureux. En formalisant l’objet a, petit bout de corps que chacun recherche dans l’Autre, c’est-à-dire en mettant en évidence l’importance du fantasme, Lacan innove : le partenaire fondamental du sujet n’est pas tant l’Autre que quelque chose de perdu de nous-mêmes que nous situons chez l’Autre.

Dans le dernier enseignement de Lacan, un pas de plus est franchi : plus radicalement, le partenaire essentiel du sujet, c’est son symptôme. L’écriture en reste $ <> a, à ceci près que l’objet a passe du semblant au réel. Derrière le partenaire se cache le réel impossible à supporter qui n’est autre que le réel du symptôme du sujet lui-même.

Illustrations contemporaines

S. Chiriaco conclut par une évocation du film de Spike Jonze, Her, dans lequel à l’évidence le héros fait couple avec la voix issue de son smartphone, dont il va jusqu’à être jaloux.

Élisabeth Pontier commente J’aimais mieux quand c’était toi[2], de Véronique Olmi, dont la protagoniste, pour poursuivre sa relation amoureuse, doit rencontrer dans le réel le fac similé d’une certaine image d’un père reculant devant son désir homosexuel.

Quant à Patrick Roux, il évoque la passion ravageante de Swann pour Odette de Crécy, « une femme qui ne [lui] plaisait pas », mais qui a éveillé son désir par « sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jethro, qu’on voit dans la chapelle Sixtine »[3].

Agrémentées du talent du comédien Nicolas Guimbard lisant quelques lettres – célèbres ou pas – d’Apollinaire, Duras, Depardieu…, littérature et psychanalyse nous auront fabriqué un cocktail au goût délicieux !

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[1] Freud S., « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, PUF, Paris, 2004. [2] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Albin Michel, Paris, 2015. [3] Proust M., Un amour de Swann, Coll. Maxi Poche, Paris, 1994, p. 55. Proust fait référence au tableau de Botticelli Les filles de Jethro (1481). Enregistrer

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Les ondes de la diffusion

Avec qui et comment fait-on couple au XXIe siècle ?

« Avec qui et comment fait-on couple au XXIe siècle ? », se demandent Élisabeth Pontier et Patrick Roux lors d’un rendez-vous de l’ACF MAP aux Arcenaulx de Marseille ce 20 juin dernier. Faisant miroiter les facettes de l’amour, du désir et de la jouissance dans cette question à partir de leurs lectures de la littérature contemporaine, ils exposent quelques-uns des chemins de traverse que tissent les fictions humaines pour faire couple. Que le lecteur soit prévenu : « Le partenaire essentiel n’est pas forcément celui que l’on imagine ». Autant de Uns pour aller par deux qu’il y a de façons de faire couple.

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« J’aimais mieux quand c’était toi » de Véronique Olmi

« J’aimais mieux quand c’était toi » de Véronique Olmi

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« L’amour est le dévoilement de nos enfances ressurgies et offertes »

Le dernier Roman de Véronique Olmi, J’aimais mieux quand c’était toi[1], paru aux éditions Albin Michel en janvier 2015, raconte l’histoire d’un couple, à partir du point de vue d’une femme : Nelly. L’auteur nous donne un aperçu très juste de ce qui relève des liaisons inconscientes en jeu dans une relation amoureuse.

Nelly est comédienne, elle partage sa vie entre ses enfants et le théâtre. Un homme l’accompagne mais il ne compte pas, elle ne l’aime pas. Celui qui compte, c’est Paul, avec qui elle a eu une liaison passionnelle et adultère – car Paul est marié et père de famille. Mais cet homme ne s’est pas rendu libre pour Nelly et celle-ci a choisi de le rendre aux siens. C’est ainsi que leur histoire a pris fin. Mais cela a-t-il pris fin pour Nelly chez qui une douleur s’est installée qui ne l’a plus quittée ? Pour continuer à vivre et à jouer – car le théâtre est son lieu d’asile – Nelly s’est coupée de cette douleur tapie en elle, elle n’a pas voulu savoir que ce puits de douleur était là sous ses pieds. C’est une femme qui danse sur le vide et qui ne veut rien en savoir.

Un soir où elle interprète la Mater Dolorosa de Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur, Nelly voit Paul parmi les spectateurs. Plus précisément, comme elle entre par la salle qu’elle doit traverser pour rejoindre la scène, Nelly reconnaît Paul, de dos, car il est le seul, dans le public, à ne pas se retourner. La présence de Paul agit comme une bombe qui infiltre et va faire exploser ce lieu de refuge, le lieu sacré que constitue le théâtre pour Nelly. Et tandis que, pour elle, la présence de Paul irradie le théâtre, Nelly perd progressivement le contrôle de son corps jusqu’à se trouver dans l’impossibilité de jouer. La représentation doit être annulée. La présence de Paul dans le théâtre a agi sur elle comme la rencontre d’un réel. À partir de là, Nelly est changée et après une nuit d’errance, elle décide de rejoindre Paul pour jouer la scène de rupture qui n’a pas eu lieu. Mais au final Nelly ne va pas rompre. Pourtant une rupture a bien eu lieu puisque Nelly n’est plus la même. Alors quelle est cette rupture ? Avec qui ? Avec quoi ?

Je fais l’hypothèse que c’est avec l’amour du père que Nelly a rompu. Pourquoi ? Le personnage de son père hante cette histoire, hante Nelly. C’est un homme qui a manqué de courage : il a renoncé à l’appel de son désir pour les hommes, leur préférant une vie de famille rangée. Nelly se souvient de son père, sa silhouette de dos, s’éloignant sur la plage puis, répondant à l’appel des ses enfants, revenant vers eux, sa « caution sociale ». Fidèle au père et à sa lâcheté Nelly avait renvoyé Paul vers les siens, renonçant à son désir pour lui. Mais la présence de Paul dans le théâtre a fait ressurgir le souvenir du père et ce souvenir a agi comme un réel permettant à Nelly de retrouver le chemin de son désir. Nelly ne renoncera pas à Paul et à leur histoire.

C’est une femme qui consent à la castration, celle de l’Autre et la sienne par conséquent. Nelly peut troquer sa quête du phallus et la promesse de jouissance absolue qu’il emporte pour quelques jouissances relatives et accessibles. L’insatisfaction cède la place à ce qu’Une femme s’invente.

[1] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Paris, Albin Michel, janvier 2015. Enregistrer

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Swann – Odette de Crécy

Swann – Odette de Crécy

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« Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir [...] pour une femme qui ne me plaisait pas… » C’est sur ces paroles cyniques que Swann conclut son récit Un amour de Swann[1], une étude quasi clinique de la passion ravageante d’un homme pour une demi-mondaine qui se joue de son amour. Comment Proust nous fait-il entendre la force des liaisons inconscientes dans cette passion improbable ? La vie amoureuse de Swann, séducteur blasé, est la répétition d’un scénario de conquête narcissique, où « chacune des liaisons [...] avait été la réalisation plus ou moins complète d’un rêve né à la vue d’un visage ou d’un corps que Swann avait, spontanément, sans s’y efforcer, trouvés charmants »[2]. Or, très rapidement, la rencontre d’Odette va le diviser. Lacan nous a appris que « l’amour est le signe qu’on change de discours »[3]. Nous repérons ce changement à un acte manqué que Proust place finement à la première visite de Swann chez Odette. Swann y oublie son étui à cigarettes. « Dans l’immense majorité des cas, dit Freud, les hommes, lorsqu’ils perdent quelque chose, accomplissent un acte symptomatique et ainsi la perte d’un objet répond à une intention secrète de celui qui est victime de cet accident. »[4] Cet acte n’aurait pas suffi sans le savoir d’Odette sur l’amour qui ne s’y trompe pas et qui « interprète » l’oubli. Elle lui fait rapporter l’objet accompagné d’un petit mot libellé ainsi : « Que n’y avez-vous aussi oublié votre cœur, je ne vous aurais pas laisser le reprendre. »[5] Ainsi se produit la métaphore de l’amour. L’angoisse de la perdre avait lancé Swann à la recherche d’Odette le soir où elle lui a manqué au salon des Verdurin. Peu après, nous assistons à l’idéalisation si caractéristique de l’amour : « Elle frappa Swann par sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on voit dans la chapelle Sixtine. »[6]

Ainsi les deux courants freudiens – le courant tendre et le courant sensuel – jusque là dissociés chez Swann, confluent sur Odette : « maintenant qu’il connaissait l’original charnel de la fille de Jéthro, elle devenait un désir qui suppléa désormais à celui que le corps d’Odette ne lui avait pas d’abord inspiré »[7].

Comment Odette s’insère-t-elle dans un circuit de jouissance et prend-elle peu à peu la place d’une femme-symptôme ? « un être nouveau était là avec lui, adhérent, amalgamé à lui, duquel il ne pourrait peut-être pas se débarrasser, avec qui il allait être obligé d’user de ménagements comme avec un maître ou une maladie »[8]. À travers sa jalousie dévorante, Swann tente de faire exister le rapport sexuel. Les productions imaginaires qu’elle engendre ne parviennent pas à résorber le réel en jeu pour lui, « le besoin anxieux »[9] de la posséder. « Odette d’où lui venait tout ce mal, ne lui en était pas moins chère [...] comme si au fur et à mesure que grandissait la souffrance, grandissait en même temps le prix du calmant, du contrepoison que seule cette femme possédait »[10]. Si la « vérité est sœur de jouissance »[11], alors disons qu’avec cette femme, Swann rencontre son heure de vérité. Mais cette vérité subit une dégradation imaginaire. Il veut tout savoir d’Odette, mais ce savoir rate au regard de la vérité qu’il vise. De surcroît, cette volonté de savoir abrite une passion de l’ignorance car il ne veut rien savoir du fait qu’Odette est une « cocotte ». Ce trait fait du couple de Swann le tableau d’un amour majeur, « un amour fondé sur ceci qu’on la croit. Croire qu’il y en a une, ça vous entraine à croire qu’il y a La femme »[12]. À la différence de l’analysant, Swann ne croit pas à son symptôme, il croit sa maîtresse. Elle lui parle, et plutôt rudement, et il prend ce qu’elle dit comme la voix de son inconscient.

[1] Proust M., Un amour de Swann, Coll. Maxi Poche, 1994. [2] Op. cit., p. 11. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 20. [4] Freud S., Psychopathologie de la vie quotidienne, (1901), Paris, P.B. Payot, 2003, p. 261. [5] Proust M., op. cit., p. 54. [6] Op.cit., p. 55. Proust fait référence au tableau de Botticelli « Les filles de Jethro » (1481). [7] Op.cit., p. 58. [8] Op. cit., p. 62. [9] Op. cit., p. 65. [10] Op. cit., p. 229. [11] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 2005, p. 61. [12] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2006,p. 110. Enregistrer

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Les ondes de la diffusion

Couples à Toulouse

À Toulouse, le dialogue avec des partenaires intervenant dans des lieux qui accueillent les conséquences de la déliaison du couple, invités grâce à l’initiative de Vanessa Sudreau, nous a enseignés sur la façon dont l’institution y joue sa partie. Les différents exemples de pratiques et de rencontres conduisent Marie-Christine Bruyère à relever la méconnaissance foncière de ce qui nous attache à l’autre, de ce qui nous en détache aussi bien. À Carcassonne, l’ACF Midi-Pyrénées commence à apprendre de la série. À l’initiative de Dominique Szulzynger, c’est la séparation, le point de rupture dans le couple, que nous avons décidé d’interroger. Après Les beaux jours, Pas son genre, voici Un homme un vrai. Pour y voir clair, André Soueix en fait apparaître l’os. C’est aussi une façon de continuer la conversation avec D. Szulzynger et V. Sudreau, qui ont soutenu la discussion avec lui après la projection, le vendredi 12 juin au cinéma Colisée, rempli !

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Pas d’amour sans cinéma

Pas d’amour sans cinéma

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« Un homme un vrai », le film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu raconte le désarroi d’un homme confronté à l’insoutenable légèreté d’une femme. Il est trahi, quitté. À moins que ce film ne raconte l’égarement d’une femme qui, parce qu’elle ne trouve pas l’homme qui l’a séduite à la hauteur, s’en va.

Rencontre 1, couple 1, rupture, rencontre 2, couple 2.

Voilà la morphologie du récit que les frères Larrieu mettent en image.

Rencontre 1

« Josépha-beauté ibérique-Don Quichotte-gaspacho » tels sont les signifiants que Boris propose à Marilyne. Elle consent à s’en revêtir. Il l’aime, elle aime la façon qu’il a de l’aimer. Deux airs de Carmen de Bizet nous en disent davantage sur le drame à venir. Carmen est une femme libre. Elle transforme son brigadier en contrebandier puis voit passer un torero et le suit. Comme nous sommes au XIXe siècle et que l’amour est fatalité, Don José, qui a tout perdu, la tue. L’amour « cynique, innocent, cruel »[1], nota Nietzsche à propos de Carmen.

Couple 1

Boris est devenu contrebandier à sa façon : il est la nounou surmenée des deux enfants que Marilyne lui donne. Passe Escamillo, le torero, ici une femme, Dolorès, XXIe siècle oblige.

Rupture

Marilyne aux prises avec la demande écrasante de l’Autre supplie Boris de l’arracher à ce monde où elle se perd. Il ne le fait pas. Sur ce point crucial, elle ne peut pas compter sur lui, elle est seule. Elle part, projetée dans le passage à l’acte avec qui veut la sortir de là. Il ne comprend pas. Elle : – « Il faut que tu sois à la hauteur ! » Lui : – « … À la hauteur de quoi ? » Ils concluent au même instant qu’il leur faut se séparer.

Rencontre 2

Cinq ans plus tard, Mary (la nouvelle Marilyne) écoute un guide de montagne lui raconter l’histoire d’un homme que l’on devine frappé par le malheur et qui se prénomme Ris (le nouveau Boris). Il escalade, la nuit, les parois les plus raides des Pyrénées et est fasciné par le coq de bruyère qui, au plus fort de la parade amoureuse, devient « sourd et aveugle ». C’est ce point, où celui qui aime se révèle castré, qui décide l’aimée à rester.

Couple 2

On saura peu de choses sur le couple qu’ils vont former. On sait qu’il ne la suit plus. C’est elle qui vient. Le film se termine comme il a commencé, par un clip. Pas d’amour sans cinéma, nous disent les frères Larrieu. Pas d’amour sans fiction. Mais toutes les fictions ne se valent pas pour faire tenir ensemble un homme et une femme. Une ellipse a emporté les cinq années de séparation, laissant au spectateur le soin de mesurer l’implication de la castration chez les deux nouveaux sujets qui se rencontrent. Elle l’a cherché, il a fait en sorte d’être retrouvé, mais se présente masqué, différent. Ce qui la fait, elle, Autre.

[1] Commentaire de Nietzsche sur sa partition de Carmen. Cf. L’Avant-Scène Opéra, dossier Carmen, n° 26, décembre 1988, p. 70. Enregistrer

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Avons-nous fait couple à Toulouse ?

Avons-nous fait couple à Toulouse ?

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Il fallait être optimiste pour organiser, au mois de juin, un samedi après-midi de travail. Pour annoncer cet événement lointain : en novembre, à Paris, les 45es Journées de l’École de la Cause freudienne : Faire couple Liaisons inconscientes.

Il fallait être audacieux pour prévoir un auditorium de cent vingt places alors que l’été s’est installé et que la ville fourmille de propositions festives, Toulouse en juin, ce sont les terrasses de café inondées de soleil, c’est Rio Loco, c’est la mer à une heure de route !

Pari engagé sous l’intitulé : « Faire couple avec l’institution ». Pari gagné : l’énoncé a été agalmatique. Une centaine de personnes se sont pressées pour assister à ce rendez-vous que Vanessa Sudreau, responsable du Bureau de ville de Toulouse, avait préparé avec une équipe animée de désir. Christiane Alberti, directrice de ces journées, et Catherine Lacaze-Paule, notre invitée, ont fait couple pour animer avec légèreté et rigueur la rencontre.

Partons de ceci : la solitude existe et le couple est une fiction[1]

Voilà un point vif qui va sous-tendre les exposés, puis se déployer avec l’intervention de C. Alberti pour ouvrir vers les Journées.

Pour faire couple avec l’institution, nous avions choisi une variété de partenaires. L’enjeu fut de soutenir les témoignages des intervenantes, d’établir une marge pour border les exposés et être enseignés par une articulation. C. Lacaze-Paule a réussi, excellemment, en trouvant pour chaque lieu la formule singulière. Aux intervenantes du Point Rencontre, elle dit : « Vous prêtez l’oreille ». Il ne s’agit pas de médiation mais de permettre un espace-temps pour qu’un parent, qui ne vit pas avec son enfant, fasse connaissance avec lui. Elle a fait valoir que pour cette situation la fusion est dangereuse ! Couple explosif. Pour une thérapeute familiale, elle interprète : « Vous avez renoncé à votre mission », c’est-à-dire à réparer le couple et ainsi elle peut entendre ce que dit cet homme de la certitude que « La mère c’est lui ». Couple intenable. À une intervenante de l’APIAF, structure qui accueille des femmes victimes de violences conjugales, elle adresse des félicitations : « Vous savez prendre le temps ». Et ainsi affleure l’impossible séparation des femmes avec leur Autre qu’elles aiment plus que tout. Et combien il est important de différencier déculpabiliser et désangoisser, de croire ces femmes tout en leur permettant d’engager leur responsabilité subjective. Couple infernal. Enfin de l’intervention d’une psychologue exerçant dans un foyer de vie, elle isole une formule du patient qui résume la situation : « Le tranchant de l’affaire ». Ainsi un couple existe, fait remarquer C. Alberti, dans la nuance d’être « un suivi amoureux » et non une relation amoureuse. Pour ce couple, une zone de travail s’est mise en place dans le transfert qui a pu s’élargir à d’autres liens. Surtout ce cas clinique enseigne que faire l’amour n’est pas obligatoire pour faire couple. Le respect de ce principe a constitué une orientation à laquelle l’institution s’est ralliée. Couple sensationnel.

Faire couple : aucun idéal dans ces situations, mais plutôt la mise en évidence de cette intuition mise au travail par l’École. Le désir de couple se présente comme symptôme fondamental d’une époque où les repères traditionnels ont vacillé. C. Alberti introduit ainsi son propos. Ce désir contemporain du couple s’indique comme la solution rêvée à la douleur d’exister, à la solitude fondamentale. Si la solitude c’est être seul sans lAutre, le couple c’est être seul pas sans lAutre. En réponse aux bouleversements sociétaux contemporains, à l’évolution des droits, à la révolution des sciences du vivant, le lien à deux est un repère. « À deux on est plus fort » disait très justement le patient suivi par l’intervenante du foyer de vie citée plus haut.

Liaisons inconscientes : dans le couple, non seulement aucun idéal, mais aussi une méconnaissance de ce qui nous attache à l’autre. Fondamentalement, on ne sait pas avec qui on fait couple parce qu’on ne sait pas avec quoi. D’où le « faire » qui pousse ici au travail d’élaboration, et là à se débrouiller d’un désaccord irréductible. S’appuyant sur une remarque du docteur J. Lacan[2], C. Alberti souligne la nécessaire abstention de tout conseil : « Ce n’est pas simplement parce que nous ignorons trop la vie du sujet […] que nous sommes portés à la réserve – c’est parce que la signification même du mariage est pour chacun de nous une question qui reste ouverte ». Plus ça change plus c’est la même chose, jusqu’au jour où la rencontre contingente fixe la répétition. Alors, le bonheur est au rendez- vous ? Si des liens de satisfaction se nouent, le couple a quelques chances de durer.

Travail, désaccord, symptômes : « le langage transformant toute chose en son contraire, on dira que [ce fut] aussi une fête ! »[3]

Au sortir de cette après-midi de travail, les klaxons de voitures enrubannées nous accueillent sur les boulevards : un mariage !

[1] Alberti C., Argument des 45es Journées de l’École de la Cause freudienne, http://www.fairecouple.fr/le-programme [2] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, Editions du Seuil 1981, p.152 [3] Cf. L’argument des J45, de C. Alberti, op. cit, que nous nous sommes autorisé à modifier. Enregistrer

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VICTIME !

VICTIME !

Ici trois textes issus du dernier rendez-vous  CPCT à Marseille en préparation à Pipol 7, Victime, victimisation, organisé et coordonné par Françoise Haccoun et Patrick Roux, présidé par Hervé Castanet, invitée : Christine De Georges.

« Victime » est devenu un problème juridique, un enjeu des politiques publiques, un phénomène social depuis une trentaine d’années. Dans les années 40, l’avocat pénaliste Benjamin Mendelsohn étudie le comportement des victimes dans le déclenchement des actes criminels. Et quelques temps après, Hans von Hentig, s’intéressant à la prévention de la criminalité, met en évidence l’implication fréquente d’un passé de victime dans l’histoire des criminels. Prévenir la criminalité pouvait porter alors sur l’attention à accorder aux victimes. La victimologie est crée, comme branche de la criminalité, en liant les deux termes entre eux.

À partir de là, la victimologie s’est consacrée à la possibilité d’être victime d’accident ou de catastrophe naturelle, puis à celle d’être victime de violations des droits de la personne, dont les responsables peuvent être un individu ou un État. Les domaines concernés par la victimologie s’étendent sans limites définies. Il faut a priori que l’action incriminée relève de la justice pénale, mais le nombre d’interdits prohibés par la loi pénale se compte par milliers, sans compter les nombreux cas qui arrivent dans les tribunaux et font jurisprudence[1]. De nouvelles catégories apparaissent sans cesse, récemment par exemple il s’agissait de faire reconnaître par la loi le burn out comme la conséquence victimaire d’un travail trop contraignant.

En 1985, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte le texte de la déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Il définit le droit des victimes dans le processus pénal, mais aussi les droits à la protection, à l’assistance, ainsi que le droit à obtenir réparation. Le statut de la victime est né.

Quelques problèmes apparaissent avec l’évolution de la notion de victime. Il y a d’abord le risque d’inflation d’une société victimaire. Par exemple, le domaine des pathologies infantiles est débordé par les droits des parents à obtenir des « compensations » au regard du « handicap » de leur enfant. Il y a le risque de voir apparaître de nouvelles manifestations symptomatiques, comme : « je suis victime d’un pervers narcissique », « mon enfant est victime d’un syndrome d’aliénation parentale ». Un des problèmes inhérents à la reconnaissance du statut de victime est qu’il s’agit de faire passer les conséquences morales et psychiques que la victime connaît, de la sphère intime à la sphère publique. La victime doit faire valoir, promouvoir devant la force publique son préjudice. Ce processus participe à la tendance générale à la monstration et au dévoilement, à l’œuvre dans notre modernité. Le risque est que la victime se fige dans son statut, le revendique plutôt que d’interroger les conséquences subjectives parfois catastrophiques, de l’expérience qu’elle a connue.

L’étape suivante consiste à obtenir réparation du préjudice subi en terme financier ; tout se monnaye dans la société capitaliste, au détriment de ce qui est singulier à chacun. Les États consacrent de plus en plus d’argent au Ministère de la Justice pour l’aide aux victimes, dix-sept millions d’euros de budget annuel en France ces dernières années.

« Victime ! » résonne comme « Au secours ! » C’est une holophrase, sans sujet et sans préposition. Sans sujet est le problème qui embarrasse : s’agit-il d’un fading transitoire du sujet, « Lacan parle de fading du sujet, du moment où celui-ci ne peut pas se nommer »[2], ou d’un effacement subjectif durable ? Sans préposition de son côté, il trouve vite sa détermination. On est toujours victime de quelque chose ou de quelqu’un. La figure d’un Autre tutélaire jugé particulier dans l’exercice de sa toute puissance, de sa volonté, ou de sa jouissance se profile toujours. Que cet Autre soit personnifié ou diffus, – cela peut être Dieu – un Autre est toujours responsable de ce que vit la victime. Si la victime est soumise à un événement de la nature ou de l’histoire, c’est secondairement, alors qu’en l’Autre sera épinglé l’origine du malheur.

La position de victime relève d’une aliénation à cette figure de l’Autre, la victime se trouve fascinée, embrigadée, terrorisée par l’Autre, sans possibilité de séparation. C’est ce qui éteint la subjectivité. La psychose en est le paradigme. Le paranoïaque est victime d’une persécution de l’Autre ; le schizophrène, sous influence, en est sa marionnette.

En dehors de ces cas, quand nous nous interrogeons sur la position de la victime, nous pouvons convoquer deux références chez Jacques Lacan, une dans le Séminaire XI, et l’autre dans les Écrits. Elles nous orientent sur la question de savoir ce qui est sacrifié du sujet, dans la position de victime. « Je tiens qu’aucun sens de l’histoire […] n’est capable de rendre compte de cette résurgence, par quoi il s’avère que l’offrande à des dieux obscurs d’un objet de sacrifice est quelque chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une monstrueuse capture »[3]. J. Lacan fait porter le sacrifice sur l’objet, sous entendu l’objet du désir. Le dieu obscur, nous dit-il, est lié à notre recherche du témoignage de la présence du désir de l’Autre. Nous sacrifions notre objet du désir au profit du témoignage de la présence du désir de l’Autre. Cette capture peut nous en rendre victime dans l’amour par exemple, ou pire. Mais jusqu’à quelle limite peut aller le sacrifice de notre objet du désir ? La limite est-elle, en sacrifiant notre objet du désir, de sacrifier notre castration même ? C’est le point de bascule qui fait notre question.

Dans « Subversion du sujet et dialectique du désir »[4] J. Lacan nous dit que le névrosé cherche à recouvrir sa castration en la niant. « Mais cette castration, contre toute apparence, il y tient. Ce que le névrosé ne veut pas, et ce qu’il refuse avec acharnement jusqu’à la fin de l’analyse, c’est de sacrifier sa castration à la jouissance de l’Autre, en l’y laissant servir. »[5] « la castration fait du fantasme cette chaine souple […] par quoi l’arrêt de l’investissement objectal qui ne peut guère outrepasser certaines limites naturelles, prend la fonction transcendantale d’assurer la jouissance de l’Autre qui me passe cette chaîne dans la Loi »[6]. Si la limite est franchie, que la castration elle même est refusée, le risque devient alors d’être confronté non pas à un Autre du désir ou un Autre de la demande, mais à un Autre de la volonté dans sa version capricieuse et féroce, ou à un Autre jouisseur. Le sujet perd alors ses coordonnées subjectives, tend à se réaliser comme objet de l’Autre, ou s’en fait « la momie », ce qui aboutit, nous dit J. Lacan, dans ce qui peut s’appeler la position figée de la victime, « au narcissisme de la Cause perdue »[7].

[1] Languin N., Aspects historiques et sociologiques de l’émergence de la victime, Journée d’étude du 16 décembre 2005 à Strasbourg. Consultable sur le web. [2] Miller J.-A., « Nous n’en pouvons plus du père », Lacan Quotidien, n° 317. [3] Lacan J., Le séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 246-247. [4] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966. [5] Ibid., p. 826. [6] Ibid. [7] Ibid.

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