« L’amour est le dévoilement de nos enfances ressurgies et offertes »
Le dernier Roman de Véronique Olmi, J’aimais mieux quand c’était toi[1], paru aux éditions Albin Michel en janvier 2015, raconte l’histoire d’un couple, à partir du point de vue d’une femme : Nelly. L’auteur nous donne un aperçu très juste de ce qui relève des liaisons inconscientes en jeu dans une relation amoureuse.
Nelly est comédienne, elle partage sa vie entre ses enfants et le théâtre. Un homme l’accompagne mais il ne compte pas, elle ne l’aime pas. Celui qui compte, c’est Paul, avec qui elle a eu une liaison passionnelle et adultère – car Paul est marié et père de famille. Mais cet homme ne s’est pas rendu libre pour Nelly et celle-ci a choisi de le rendre aux siens. C’est ainsi que leur histoire a pris fin. Mais cela a-t-il pris fin pour Nelly chez qui une douleur s’est installée qui ne l’a plus quittée ? Pour continuer à vivre et à jouer – car le théâtre est son lieu d’asile – Nelly s’est coupée de cette douleur tapie en elle, elle n’a pas voulu savoir que ce puits de douleur était là sous ses pieds. C’est une femme qui danse sur le vide et qui ne veut rien en savoir.
Un soir où elle interprète la Mater Dolorosa de Pirandello dans Six personnages en quête d’auteur, Nelly voit Paul parmi les spectateurs. Plus précisément, comme elle entre par la salle qu’elle doit traverser pour rejoindre la scène, Nelly reconnaît Paul, de dos, car il est le seul, dans le public, à ne pas se retourner. La présence de Paul agit comme une bombe qui infiltre et va faire exploser ce lieu de refuge, le lieu sacré que constitue le théâtre pour Nelly. Et tandis que, pour elle, la présence de Paul irradie le théâtre, Nelly perd progressivement le contrôle de son corps jusqu’à se trouver dans l’impossibilité de jouer. La représentation doit être annulée. La présence de Paul dans le théâtre a agi sur elle comme la rencontre d’un réel. À partir de là, Nelly est changée et après une nuit d’errance, elle décide de rejoindre Paul pour jouer la scène de rupture qui n’a pas eu lieu. Mais au final Nelly ne va pas rompre. Pourtant une rupture a bien eu lieu puisque Nelly n’est plus la même. Alors quelle est cette rupture ? Avec qui ? Avec quoi ?
Je fais l’hypothèse que c’est avec l’amour du père que Nelly a rompu. Pourquoi ? Le personnage de son père hante cette histoire, hante Nelly. C’est un homme qui a manqué de courage : il a renoncé à l’appel de son désir pour les hommes, leur préférant une vie de famille rangée. Nelly se souvient de son père, sa silhouette de dos, s’éloignant sur la plage puis, répondant à l’appel des ses enfants, revenant vers eux, sa « caution sociale ». Fidèle au père et à sa lâcheté Nelly avait renvoyé Paul vers les siens, renonçant à son désir pour lui. Mais la présence de Paul dans le théâtre a fait ressurgir le souvenir du père et ce souvenir a agi comme un réel permettant à Nelly de retrouver le chemin de son désir. Nelly ne renoncera pas à Paul et à leur histoire.
C’est une femme qui consent à la castration, celle de l’Autre et la sienne par conséquent. Nelly peut troquer sa quête du phallus et la promesse de jouissance absolue qu’il emporte pour quelques jouissances relatives et accessibles. L’insatisfaction cède la place à ce qu’Une femme s’invente.
[1] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Paris, Albin Michel, janvier 2015.