Après-midi préparatoire aux J 45
Lors de cet ultime rendez-vous de l’ACF-MAP avant les vacances d’été, il s’agissait d’offrir aux participants un « apéritif » – au sens étymologique d’ouverture – pour les inciter à se rendre aux J 45. C’est chose faite grâce à l’exposé de Sonia Chiriaco. Son titre, On ne parle que de ça, et le sous-titre qui arrive après, Mais en parle-t-on aujourd’hui comme au temps de Freud ou même au temps du Lacan de 1973 ? annoncent son ambition : balayer l’ensemble de la doxa à partir de cette thématique du couple contemporain. Cet exercice périlleux se révèle exemplaire de rigueur et de limpidité.
L’amour au XXIe siècle
Un constat, d’abord : « Les relations sexuelles débutent précocement et longtemps avant l’état amoureux. » C’est ce dernier qui pose problème.
Puis la thèse se construit en deux temps. Reprenant le texte princeps de Freud sur le ravalement amoureux[1], S. Chiriaco démontre que la disjonction entre le courant tendre et le courant sensuel, entre l’objet d’amour et celui qu’on désire, existe toujours. Cependant, l’époque contemporaine, en libérant la sexualité grâce à la brèche ouverte par la psychanalyse, prescrit la jouissance d’abord, ce qui complique l’accès à l’amour, qui devient second, idéalisé. Le désir, court-circuité, fait les frais de cette nouvelle donne.
Le célèbre aphorisme lacanien s’énonce alors, à rebours : « Le désir permet à la jouissance, sous certaines conditions, de condescendre à l’amour. »
Le partenaire amoureux au XXIe siècle
Quelles sont ces « conditions d’amour » ? Retour à Freud qui souligne la présence d’un trait précis pour fonder le choix amoureux. En formalisant l’objet a, petit bout de corps que chacun recherche dans l’Autre, c’est-à-dire en mettant en évidence l’importance du fantasme, Lacan innove : le partenaire fondamental du sujet n’est pas tant l’Autre que quelque chose de perdu de nous-mêmes que nous situons chez l’Autre.
Dans le dernier enseignement de Lacan, un pas de plus est franchi : plus radicalement, le partenaire essentiel du sujet, c’est son symptôme. L’écriture en reste $ <> a, à ceci près que l’objet a passe du semblant au réel. Derrière le partenaire se cache le réel impossible à supporter qui n’est autre que le réel du symptôme du sujet lui-même.
Illustrations contemporaines
S. Chiriaco conclut par une évocation du film de Spike Jonze, Her, dans lequel à l’évidence le héros fait couple avec la voix issue de son smartphone, dont il va jusqu’à être jaloux.
Élisabeth Pontier commente J’aimais mieux quand c’était toi[2], de Véronique Olmi, dont la protagoniste, pour poursuivre sa relation amoureuse, doit rencontrer dans le réel le fac similé d’une certaine image d’un père reculant devant son désir homosexuel.
Quant à Patrick Roux, il évoque la passion ravageante de Swann pour Odette de Crécy, « une femme qui ne [lui] plaisait pas », mais qui a éveillé son désir par « sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jethro, qu’on voit dans la chapelle Sixtine »[3].
Agrémentées du talent du comédien Nicolas Guimbard lisant quelques lettres – célèbres ou pas – d’Apollinaire, Duras, Depardieu…, littérature et psychanalyse nous auront fabriqué un cocktail au goût délicieux !
[1] Freud S., « Contributions à la psychologie de la vie amoureuse », La vie sexuelle, PUF, Paris, 2004.
[2] Olmi V., J’aimais mieux quand c’était toi, Albin Michel, Paris, 2015.
[3] Proust M., Un amour de Swann, Coll. Maxi Poche, Paris, 1994, p. 55. Proust fait référence au tableau de Botticelli Les filles de Jethro (1481).