« Un homme un vrai », le film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu raconte le désarroi d’un homme confronté à l’insoutenable légèreté d’une femme. Il est trahi, quitté. À moins que ce film ne raconte l’égarement d’une femme qui, parce qu’elle ne trouve pas l’homme qui l’a séduite à la hauteur, s’en va.
Rencontre 1, couple 1, rupture, rencontre 2, couple 2.
Voilà la morphologie du récit que les frères Larrieu mettent en image.
Rencontre 1
« Josépha-beauté ibérique-Don Quichotte-gaspacho » tels sont les signifiants que Boris propose à Marilyne. Elle consent à s’en revêtir. Il l’aime, elle aime la façon qu’il a de l’aimer. Deux airs de Carmen de Bizet nous en disent davantage sur le drame à venir. Carmen est une femme libre. Elle transforme son brigadier en contrebandier puis voit passer un torero et le suit. Comme nous sommes au XIXe siècle et que l’amour est fatalité, Don José, qui a tout perdu, la tue. L’amour « cynique, innocent, cruel »[1], nota Nietzsche à propos de Carmen.
Couple 1
Boris est devenu contrebandier à sa façon : il est la nounou surmenée des deux enfants que Marilyne lui donne. Passe Escamillo, le torero, ici une femme, Dolorès, XXIe siècle oblige.
Rupture
Marilyne aux prises avec la demande écrasante de l’Autre supplie Boris de l’arracher à ce monde où elle se perd. Il ne le fait pas. Sur ce point crucial, elle ne peut pas compter sur lui, elle est seule. Elle part, projetée dans le passage à l’acte avec qui veut la sortir de là. Il ne comprend pas. Elle : – « Il faut que tu sois à la hauteur ! » Lui : – « … À la hauteur de quoi ? » Ils concluent au même instant qu’il leur faut se séparer.
Rencontre 2
Cinq ans plus tard, Mary (la nouvelle Marilyne) écoute un guide de montagne lui raconter l’histoire d’un homme que l’on devine frappé par le malheur et qui se prénomme Ris (le nouveau Boris). Il escalade, la nuit, les parois les plus raides des Pyrénées et est fasciné par le coq de bruyère qui, au plus fort de la parade amoureuse, devient « sourd et aveugle ». C’est ce point, où celui qui aime se révèle castré, qui décide l’aimée à rester.
Couple 2
On saura peu de choses sur le couple qu’ils vont former. On sait qu’il ne la suit plus. C’est elle qui vient. Le film se termine comme il a commencé, par un clip. Pas d’amour sans cinéma, nous disent les frères Larrieu. Pas d’amour sans fiction. Mais toutes les fictions ne se valent pas pour faire tenir ensemble un homme et une femme. Une ellipse a emporté les cinq années de séparation, laissant au spectateur le soin de mesurer l’implication de la castration chez les deux nouveaux sujets qui se rencontrent. Elle l’a cherché, il a fait en sorte d’être retrouvé, mais se présente masqué, différent. Ce qui la fait, elle, Autre.
[1] Commentaire de Nietzsche sur sa partition de Carmen. Cf. L’Avant-Scène Opéra, dossier Carmen, n° 26, décembre 1988, p. 70.