Il fallait être optimiste pour organiser, au mois de juin, un samedi après-midi de travail. Pour annoncer cet événement lointain : en novembre, à Paris, les 45es Journées de l’École de la Cause freudienne : Faire couple – Liaisons inconscientes.
Il fallait être audacieux pour prévoir un auditorium de cent vingt places alors que l’été s’est installé et que la ville fourmille de propositions festives, Toulouse en juin, ce sont les terrasses de café inondées de soleil, c’est Rio Loco, c’est la mer à une heure de route !
Pari engagé sous l’intitulé : « Faire couple avec l’institution ». Pari gagné : l’énoncé a été agalmatique. Une centaine de personnes se sont pressées pour assister à ce rendez-vous que Vanessa Sudreau, responsable du Bureau de ville de Toulouse, avait préparé avec une équipe animée de désir. Christiane Alberti, directrice de ces journées, et Catherine Lacaze-Paule, notre invitée, ont fait couple pour animer avec légèreté et rigueur la rencontre.
Partons de ceci : la solitude existe et le couple est une fiction[1]
Voilà un point vif qui va sous-tendre les exposés, puis se déployer avec l’intervention de C. Alberti pour ouvrir vers les Journées.
Pour faire couple avec l’institution, nous avions choisi une variété de partenaires. L’enjeu fut de soutenir les témoignages des intervenantes, d’établir une marge pour border les exposés et être enseignés par une articulation. C. Lacaze-Paule a réussi, excellemment, en trouvant pour chaque lieu la formule singulière. Aux intervenantes du Point Rencontre, elle dit : « Vous prêtez l’oreille ». Il ne s’agit pas de médiation mais de permettre un espace-temps pour qu’un parent, qui ne vit pas avec son enfant, fasse connaissance avec lui. Elle a fait valoir que pour cette situation la fusion est dangereuse ! Couple explosif. Pour une thérapeute familiale, elle interprète : « Vous avez renoncé à votre mission », c’est-à-dire à réparer le couple et ainsi elle peut entendre ce que dit cet homme de la certitude que « La mère c’est lui ». Couple intenable. À une intervenante de l’APIAF, structure qui accueille des femmes victimes de violences conjugales, elle adresse des félicitations : « Vous savez prendre le temps ». Et ainsi affleure l’impossible séparation des femmes avec leur Autre qu’elles aiment plus que tout. Et combien il est important de différencier déculpabiliser et désangoisser, de croire ces femmes tout en leur permettant d’engager leur responsabilité subjective. Couple infernal. Enfin de l’intervention d’une psychologue exerçant dans un foyer de vie, elle isole une formule du patient qui résume la situation : « Le tranchant de l’affaire ». Ainsi un couple existe, fait remarquer C. Alberti, dans la nuance d’être « un suivi amoureux » et non une relation amoureuse. Pour ce couple, une zone de travail s’est mise en place dans le transfert qui a pu s’élargir à d’autres liens. Surtout ce cas clinique enseigne que faire l’amour n’est pas obligatoire pour faire couple. Le respect de ce principe a constitué une orientation à laquelle l’institution s’est ralliée. Couple sensationnel.
Faire couple : aucun idéal dans ces situations, mais plutôt la mise en évidence de cette intuition mise au travail par l’École. Le désir de couple se présente comme symptôme fondamental d’une époque où les repères traditionnels ont vacillé. C. Alberti introduit ainsi son propos. Ce désir contemporain du couple s’indique comme la solution rêvée à la douleur d’exister, à la solitude fondamentale. Si la solitude c’est être seul sans l’Autre, le couple c’est être seul pas sans l’Autre. En réponse aux bouleversements sociétaux contemporains, à l’évolution des droits, à la révolution des sciences du vivant, le lien à deux est un repère. « À deux on est plus fort » disait très justement le patient suivi par l’intervenante du foyer de vie citée plus haut.
Liaisons inconscientes : dans le couple, non seulement aucun idéal, mais aussi une méconnaissance de ce qui nous attache à l’autre. Fondamentalement, on ne sait pas avec qui on fait couple parce qu’on ne sait pas avec quoi. D’où le « faire » qui pousse ici au travail d’élaboration, et là à se débrouiller d’un désaccord irréductible. S’appuyant sur une remarque du docteur J. Lacan[2], C. Alberti souligne la nécessaire abstention de tout conseil : « Ce n’est pas simplement parce que nous ignorons trop la vie du sujet […] que nous sommes portés à la réserve – c’est parce que la signification même du mariage est pour chacun de nous une question qui reste ouverte ». Plus ça change plus c’est la même chose, jusqu’au jour où la rencontre contingente fixe la répétition. Alors, le bonheur est au rendez- vous ? Si des liens de satisfaction se nouent, le couple a quelques chances de durer.
Travail, désaccord, symptômes : « le langage transformant toute chose en son contraire, on dira que [ce fut] aussi une fête ! »[3]
Au sortir de cette après-midi de travail, les klaxons de voitures enrubannées nous accueillent sur les boulevards : un mariage !
[1] Alberti C., Argument des 45es Journées de l’École de la Cause freudienne, http://www.fairecouple.fr/le-programme
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, Editions du Seuil 1981, p.152
[3] Cf. L’argument des J45, de C. Alberti, op. cit, que nous nous sommes autorisé à modifier.