À la différence de ce qui est institué à l’IPA, il n’y a pas de cursus pour devenir psychanalyste : la cure et les institutions analytiques lacaniennes sont sans standards mais pas sans principes. Les standards sont à référer à l’identification, les principes au désir. Est-ce à partir de ces oppositions – standards / principes, identification / désir – que peut se comprendre qu’à l’ECF, comme dans les autres Écoles de l’AMP, le contrôle n’est pas obligatoire, mais qu’il est « désiré1 » ?
En effet, et allons donc jusqu’à considérer que le contrôle est peut-être d’autant plus désirable qu’il n’est pas imposé. Le désir ne saurait se commander ; il peut en revanche se susciter. Mais qu’un analyste décide, ou pas, de son propre chef d’aller en contrôle est conforme à la façon dont il se forme. Car de quoi dépend cette formation ? D’abord de son analyse personnelle qui est conditionnée par son désir propre de savoir quelle est sa part dans le désordre dont il se plaint. C’est de là que l’analysant extrait un savoir et qu’émerge un désir qui le portera éventuellement à occuper cette fonction d’analyste pour d’autres.
Pas plus que l’analyse ne s’impose de l’extérieur – sinon par l’intensité du symptôme qu’on vient y traiter –, le contrôle ne s’impose de l’extérieur. Cela a une première conséquence remarquable : l’analyste est d’autant plus responsable de sa formation qu’elle relève de son désir.
C’est un fait : même si le contrôle n’est pas obligatoire, il « s’impose2 ». À ce titre, il n’est pas rare ou occasionnel, mais habituel et régulier. Mais que fait-on contrôler de sa pratique en allant voir un analyste justement pour un contrôle ?
Le contrôle n’est pas imposé, mais il s’impose. C’est ce que note Lacan, en effet. Il y a là une nuance de taille qui fait entendre que le contrôle répond à une nécessité éthique, celle de reconnaître les effets psychanalytiques engendrés par l’analyste. Qu’il parle ou qu’il se taise, qu’il intervienne ou qu’il n’intervienne pas ; quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, il produit des effets. Le contrôle est aussi le lieu où ces effets sont pris à la charge de l’analyste. Nécessité donc, certainement. Mais cette nécessité s’impose-t-elle de la même façon quand on débute sa pratique d’analyste et quand on a plus d’expérience ? Et quid du contrôle quand l’analyse est finie ?
Maintenant, que fait-on contrôler en contrôle ? Sans doute d’abord une orientation. A-t-on bien cerné la raison pour laquelle un sujet vient nous voir, ce qui le dérange au point qu’il fasse appel à un autre discours pour s’y retrouver ? Dans quelles circonstances le dérangement qui l’affecte s’est-il produit ? Qu’est-ce qui fait qu’un analysant vous a choisi vous et pas un autre ? Est-ce un hasard ? Le fruit d’une nécessité ? Ou encore : ce dont l’analysant témoigne, l’analyste le lit-il à partir de la singularité du cas ou en le rapportant à lui-même, c’est-à-dire essentiellement à son fantasme ? Si tel est le cas, ce qui se fait jour en contrôle se traite ensuite dans l’analyse personnelle.
Il y a ainsi quelques questions qui se posent dans tous les cas et qui s’exposent en contrôle. Il y en a d’autres qui ne valent que pour un cas. Le contrôle peut être le lieu d’exposition de telle construction, l’extraction de tel divin détail qui donne au cas un relief inédit, ou encore de telle interprétation ou de tel acte analytique, etc. Certaines questions y trouvent des réponses. D’autres se précisent, se serrent, mais restent ouvertes. À cet égard, notons que c’est aussi le lieu d’un travail bouillonnant, le lieu d’une recherche enthousiasmante.
Il y a tout juste dix ans, une précédente Question d’École abordait cet enjeu avec ce titre : Pourquoi suis-je en contrôle ? Dans sa contribution d’alors, J.-A. Miller assignait à la commission de la garantie une tâche : « accomplir la supervision des contrôles ; […] s’assurer qu’ils ont été faits3 ». Dix ans après, où en sommes-nous de cette « supervision des contrôles », où la responsabilité de l’ECF est engagée ?
Eh bien, c’est toujours le travail de la commission de la garantie que de le vérifier, entre autres choses. Si après son admission dans l’École, un nouveau membre est libre de dire s’il entre dans l’École comme « analyste praticien » (AP) ou pas – l’École ne se prononçant pas sur cette question –, en revanche, la désignation des « analystes membres de l’École » (AME) vient de l’École elle-même. Elle tient compte de la façon dont un analyste contrôle ou a contrôlé sa pratique comme d’un élément consubstantiel à sa formation. Il y a d’ailleurs une variété d’usages du contrôle. Certains y vont beaucoup et régulièrement, d’autres moins. Certains y vont pour toujours, d’autres s’arrêtent à un moment donné. Certains ne contrôlent qu’avec un seul contrôleur quand d’autres en changent ou ont plusieurs contrôleurs en même temps. Cet usage est varié, mais oui, la commission de la garantie est attentive à ce que contrôle il y ait pour les membres dont elle reconnaît que leur formation relève de l’École.
Questions posées par Hervé Castanet
[1] Miller J.-A., « Trois remarques sur le contrôle », intervention prononcée lors de la Journée Question d’École organisée par l’ECF le 8 février 2014, consultable sur le site de l’ECF.
https://www.causefreudienne.org/textes-fondamentaux/trois-remarques-sur-le-controle/
[2] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 235.
[3] Miller J.-A., « Trois remarques sur le contrôle », op. cit.