Nous allons en contrôle, non parce que c’est obligatoire, mais parce que nous le désirons, comme le rappelait Jacques-Alain Miller en 2014 lors d’une Question d’École déjà consacrée à ce thème. Désiré, son rythme est celui de la métonymie, dans laquelle nous cherchons des points de capiton qui nous orientent pour les cas que nous y amenons.
Mais Lacan a pu dire aussi que le contrôle s’impose ; c’est ici une autre dimension que celle du désir. Ça s’impose, car le réel sans loi du cas nous met sur la brèche d’une urgence, celle de l’acte analytique qu’il s’agit de contrôler. Qu’il soit désiré, et qu’il s’impose, c’est un je ne sais pas qui nous y conduit. Communément, quand on ne sait pas, on reçoit une réponse en termes pédagogiques, d’apprentissages : on tente de résorber ce non-savoir dans un savoir déjà établi. Lacan souligne cette tendance dans la psychanalyse elle-même en 1954, lorsqu’il parle de la manière dont on envisage le contrôle à l’époque : « Je me suis référé implicitement à l’enseignement qui vous est donné dans les contrôles, selon lequel l’analyse, c’est l’analyse des résistances, des systèmes de défense du moi. Cette conception reste mal centrée, et nous ne pouvons nous référer qu’à des enseignements concrets mais non systématisés, et, quelquefois même, non formulés.1 » Ce propos de Lacan permet de situer dans quel registre se déroule un contrôle, celui de la parole dont dépend les effets de vérité et dont on peut attendre qu’elle soit neuve. Il arrive souvent, après un contrôle, que la perspective du cas présenté soit entièrement renouvelée et que l’acte analytique y retrouve son efficience. Ce qui est à a-prendre dans un contrôle est l’exercice même de la parole. Nous ne venons donc pas en contrôle avec des idées préétablies de travailler tel ou tel point de la théorie.
Lacan n’avait-il pas, dès 1953, dans son projet d’amendement aux statuts de l’Institut qu’il proposa à Sacha Nacht – avant la scission donc –, tracé des perspectives de ce que pouvait être le contrôle, en proposant, entre autres, très finement : « le cours de technique contrôlée où l’étudiant peut reconnaître la fonction créatrice de la praxis et la valeur de l’analyse comme science du particulier, mettant à l’épreuve, dans la durée d’une expérience, la relation des règles à leurs effets dans le cas2 » ? Ce qui est visé, entre autres, est l’acquisition de la fonction créatrice de la parole au-delà de tout apprentissage de techniques.
C’est à partir de ce qui est impossible à enseigner – un réel – qu’il est nécessaire que quelque chose s’apprenne, à condition de donner priorité à ce qui se trouve hors du savoir déjà constitué sur le cas. C’est pourquoi le contrôle décontenance tant. Son expérience, comme celle de l’analyse, relève de la structure du langage, s’effectue par le truchement d’un médium, celui de la parole, qui prend sa puissance à partir du discours analytique. Aussi, le savoir dont il est question et qui s’apprend, c’est le savoir de la structure même de langage, c’est-à-dire le maniement de la parole. Le contrôle permet alors de délester le praticien du poids de ce qu’il sait déjà, car, comme l’indique Lacan : « Il y a dans tout savoir une fois constitué une dimension d’erreur, qui est d’oublier la fonction créatrice de la vérité sous sa forme naissante. […] Mais nous autres analystes, nous ne pouvons l’oublier, qui travaillons dans la dimension de cette vérité à l’état naissant. […] Tout ce qui s’opère dans le champ de l’action analytique est antérieur à la constitution du savoir. […] [Aussi le psychanalyste] doit se former, s’assouplir dans un autre domaine que celui où se sédimente, où se dépose ce qui dans son expérience se forme peu à peu de savoir.3 »
Ce qui est à a-prendre dans un contrôle est l’exercice même de la parole. J.-A. Miller a pu indiquer en d’autres termes ce point. Acquérir l’esprit d’à-propos, le discernement, le jugement, la présence d’esprit dont il donne cette définition : « une aptitude à profiter des occasions pour parler ou pour agir4 ».
Ne pourrait-on pas dire que ce qu’on apprend dans le contrôle, c’est une énonciation ? Énonciation qui est toujours en infraction par rapport à une cohérence de savoir, énonciation qui ne se collectivise pas, et qui est le ressort de l’acte analytique.
Éric Zuliani
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 185.
[2] Lacan J., « Janvier 1953. Statuts proposés pour l’Institut de psychanalyse », in La scission de 1953. La communauté psychanalytique en France-I, documents édités par Jacques-Alain Miller, Paris, Navarin éditeur, 1990, p. 55.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1980, p. 29-30.
[4] Miller J.-A. « La “formation” de l’analyste », La Cause freudienne, n°52, Paris, 2002, p. 7.