Le contrôle accompagne l’analyste dans sa praxis. Le souci de l’orientation du travail ou un point d’incompréhension peut hâter un contrôle. À quoi sert aujourd’hui le contrôle ?
Considérons-le comme un outil pour faire obstacle à la furor sanandi que Freud n’hésite pas à qualifier du terme de « fanatisme1 ». Ce fanatisme n’est pas sans lien avec le fait de vouloir le bien de son patient et Freud ne laisse aucun doute quant à ce qui est attendu sur ce point : « il faut que soit évitée toute gâterie2 ». Il évoque là les établissements de cure thermale de l’époque, qui font tout pour que l’existence du patient soit « aussi agréable que possible, afin qu’il s’y sente bien et qu’il aime à venir s’y réfugier3 ». Or, faire de même dans l’expérience analytique serait une faute « économique » – au sens psychique du terme : « toute amélioration de son état de souffrance ralentit le tempo du rétablissement et diminue la force pulsionnelle qui pousse à la guérison. Nous ne pouvons pas renoncer à cette force pulsionnelle ; une diminution de celle-ci est dangereuse pour notre visée curative4 ». L’éthique freudienne ne permet pas de se cacher derrière la formule latine du primum non nocere – en premier, ne pas nuire – du serment d’Hippocrate.
Le respect de la parole du patient impose donc paradoxalement de mettre en veille le souci de faire le bien. Lacan précise à ce titre : « La bonté est sans doute là nécessaire plus qu’ailleurs, mais elle ne saurait guérir le mal qu’elle engendre. L’analyste qui veut le bien du sujet, répète ce à quoi il a été formé, et même à l’occasion tordu.5 » Prenons au sérieux cette indication. La question du bien-être est actuellement omniprésente et se fait offre et réponse au malaise de nos contemporains. Mais de quel bienfait s’agit-il ? Les méthodes de bien-être sont assez proches en termes de discours de l’éducation thérapeutique.
L’assertion freudienne est toujours d’actualité : la cure thermale ou Tu peux savoir quelque chose de ton inconscient. Question d’École interrogera, le 3 février 2024, comment s’actualise, dans les usages du contrôle, la responsabilité de l’analyste qui porte sur l’inconscient. L’éducation thérapeutique aspire à la prévisibilité thérapeutique. Telle n’est pas notre orientation. Le contrôle nous permet de tenir la conclusion freudienne selon laquelle nul ne sait à l’avance ce qui est thérapeutique pour un sujet.
Lacan contrarie la recherche de compréhension : « Combien de fois ne l’ai-je pas fait observer à ceux que je contrôle quand ils me disent – J’ai cru comprendre qu’il voulait dire ceci, et cela – une des choses dont nous devons le plus nous garder, c’est de comprendre trop, de comprendre plus que ce qu’il y a dans le discours du sujet. Interpréter et s’imaginer comprendre, ce n’est pas du tout la même chose. C’est exactement le contraire. Je dirais même que c’est sur la base d’un certain refus de compréhension que nous poussons la porte de la compréhension analytique.6 »
L’analyste travaille pour savoir ignorer ce qu’il sait 7, ce qui ne le dédouane nullement d’être responsable de ce qu’il a à savoir. Ce travail n’est jamais fait une fois pour toutes. C’est ce qu’il vérifie en contrôle.
Nicole Borie
[1] Freud S., « Remarques sur l’amour de transfert », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, 2007, p. 155 : « la société humaine a tout aussi peu besoin de la furor sanandi que de n’importe quel autre fanatisme » ; et la note de bas de page.
[2] Freud S., « Les voies de la thérapie psychanalytique », La Technique psychanalytique, op. cit., p. 164.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 149.
[5] Lacan J., « La direction de la cure ou les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 619.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre I, Les Écrits techniques de Freud, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 87-88.
[7] Lacan J., « Variantes de la cure-type », Écrits, op. cit., p. 349.