[KGVID width= »600″ height= »422″]https://www.hebdo-blog.fr/wp-content/uploads/2015/09/Sonny_Cher_-_I_got_you_Babe_-_Video_Dailymotion_3.mp4[/KGVID]
Vus du XXIe siècle, les idéaux hippies, ceux de la contre-culture des années 60 ont laissé leurs traces, aujourd’hui, incontestables : l’avancement des droits civils, particulièrement le droit des femmes et des minorités ; la drug culture, la « démocratisation » de la jouissance, en sont quelques reliques bien vivantes. Mais si l’individualisme et le combat contre la tradition, dont le monde contemporain exprime la plainte – tout comme l’exigence réactionnaire de la transparence censée en contrôler ses effets – semblent en être les conséquences les plus directes, il reste à saisir comment on est passé de l’un à l’autre. Car l’idéal hippie premier visait l’amour universel, une sorte de partage transcendant – et surtout anti-capitaliste : All you need is love. Certes, ces idéaux contenaient leur envers, mais par quel biais l’envers a-t-il pris le dessus ? Serait-ce à l’aide d’une subversion de l’imaginaire, véhiculée par le pouvoir invoquant de l’objet voix, que la fuite en avant du contre-révolutionnaire hippie l’a conduit à sa mutation en yuppie (jeune professionnel urbain), sans crise de conscience particulière ?
Loin du couple hippie iconique, de Yoko Ono et John Lennon, ou du couple musical politiquement engagé de Joan Baez et Bob Dylan, mais surfant sur la vague américaine de leur époque, un drôle de couple gagnait en popularité médiatique grâce à leur tube, I got you babe. Une fille de seize ans et son compagnon de vingt-sept, vêtus de l’uniforme de la contre-culture – pattes d’éléphant et cheveux longs, pour lui comme pour elle – chantaient l’apaisante stabilité de leur amour et de ses pouvoirs.
Elle : They say our love won’t pay the rent
[Ils disent que notre amour ne paiera pas le loyer]
Before it’s earned, our money’s all been spent
[Avant même qu’on ne gagne de l’argent, le nôtre est déjà dépensé]
Lui : I guess that’s so, we don’t have a pot
[Je pense que c’est ainsi, nous ne roulons pas sur l’or]
But at least I’m sure of all the things we got
[Mais au moins j’ai la certitude de tout ce qui est à nous]
Ensemble : I got you babe
Face à l’angoisse qui souvent se substituait au sentiment océanique tant recherché dans l’idéal psychédélique de transcendance, Sonny & Cher donnaient l’exemple d’une autonomie à deux, scellée dans une monade solide et librement choisie, avec une définition du « free love » plus caractéristique d’un idéal romantique dégagé des contraintes de classe et autres souffrances du XIXe siècle, que de la grande orgie de la révolution sexuelle des années 60. Cependant, leur proposition carpe diem, fidèle au discours hippie, restait sans engagement envers l’universel. À l’heure grave et engagée du mouvement Free Speech, déclencheur du mouvement pour les libertés civiques, qui a fini par politiser bon nombre de hippies, et donner naissance en 1967 aux « Yippies » (Youth International Party), Sonny & Cher s’offraient comme modèle d’un amour égoïste, qui se suffisait à lui-même. Ainsi, Sonny Bono, devenu maire républicain de Palm Beach en Californie en 1988, s’est inscrit sur une liste électorale, pour la première fois de sa vie, cette même année.
Alors, cette image de l’amour, de son ascèse, donnée par le couple, a-t-elle fait l’épreuve de la durée ? Before we pay the rent, our money’s all been spent, chantaient-ils toutes les semaines, pendant quatre ans, dans une émission télévisée prime time où ils gagnaient beaucoup de money ! Ils ont inventé le hippy chic dont l’envers, refoulé, leur a valu une baisse progressive de l’audimat, produisant la désintégration de leur couple en 1974. La transmutation de leur génération était accomplie et leur message avait perdu son éclat laissant place à d’autres inquiétudes.
Néanmoins, ils restent, au fond, des précurseurs du yuppie, une des subversions de la révolution de 68. Un coup extraordinaire de couple !