Vers les Journées 45 de l’ECF
Le mardi 30 juin a eu lieu à Rennes une soirée préparatoire aux J. 45 de l’École de la Cause freudienne, une soirée préparée par un cartel fulgurant composé de Emmanuelle Borgnis Desbordes, Myriam Perrin, Noémie Jan et Éric Zuliani (Plus-un). Si « faire couple » est souvent appréhendé du côté du « conjugo » et de ses vicissitudes, il dépasse pourtant cette illusion. Des artistes ont été convoqués comme « témoins ». Sous l’impulsion de Patricia Bosquin- Caroz, cette soirée a permis de démontrer que « le partenaire du sujet n’est donc pas l’autre sexuel comme tel »[1] mais qu’il fait couple avec le « mode de jouir » de celui-ci. Bien qu’hommes et femmes se plaisent à penser une possible union des êtres et se laissent porter par l’idéal, d’autres liaisons, « inconscientes », jouent leur partie. « S’il n’y a pas lieu, et aujourd’hui moins que jamais, de croire jusqu’au bout aux fictions de deux êtres complémentaires qui s’appartiennent », souligne Christiane Alberti, responsable des prochaines Journées, « il s’agit d’interroger le véritable fondement d’un couple : ce qui se crée de liaisons inconscientes, aux causes surprenantes, paradoxales, masquées et néanmoins solides et efficaces »[2]. La psychanalyse lacanienne rompt avec cet imaginaire de la fusion et de la complémentarité. La clinique des rapports amoureux atteste qu’hommes et femmes ne se rencontrent jamais vraiment : structurellement, ils restent séparés ; et c’est ce qui leur permet de continuer à se désirer. La question qui s’est posée lors de cette soirée préparatoire était : qu’est ce qui peut attacher deux êtres entre eux ?
L’art, la création artistique ou encore la « passion artistique » pourrait fonctionner comme « mode de lien », c’est à dire comme « symptôme ». Car « si le sujet et l’Autre peuvent faire couple dans un rapport signifiant, linguistique, deux corps parlants ne peuvent faire couple sans un symptôme comme « mode de lien »[3]. Cette soirée s’est centrée sur les différentes façons de « faire couple » dans l’art sans céder à l’illusion de quelque création commune. Si quelques « couples d’artistes » sont parvenus à faire conjugo, nul doute que leur passion et leur engagement artistique et politique ont fait lien et rapport. Les peintures et créations de Sonia et Robert Delaunay au début du siècle – précurseurs du Cubisme – ont pu exemplifier particulièrement ce mode de lien symptomatique, leur « intuition simultanée », manière de « faire couple » par et dans leur art. D’autres couples d’artistes ne sont pas parvenus à cette invention. Ils ont connu les vicissitudes d’un conjugo infernal et ravageur. Malgré toutes leurs inventions quotidiennes, Françoise Hardy et Jacques Dutronc ne réussirent jamais à « être en couple », dévastés l’un comme l’autre par le sans limite de « L’amour fou »[4]. Par contre, ils réussirent à « faire couple » dans leur inspiration commune, l’écriture de leurs textes et de leurs musiques[5]. Le partenaire du sujet n’est donc pas tant l’autre sexuel que son « mode de jouir ». Un autre artiste, aussi provocateur que séducteur, amoureux des femmes mais surtout de la langue, a également été convoqué : Serge Gainsbourg. Artiste, peintre puis compositeur, il a fait couple avec une langue singulière qu’il a élevée à la dignité de la création musicale. S’il a fait couple avec quelques femmes, il l’a surtout fait avec l’écriture, la prosodie et ce de manière sinthomatique[6]. Enfin, parce que « ce qui fait couple peut se décliner de bien des façons »[7], Serge Le Tendre, créateur et dessinateur de bandes-dessinées, a témoigné de son travail ou comment pour lui s’est posé, s’est inventé, s’est écrit et s’est illustré le « mode de lien » qui le lie à l’Autre, à ses dessinateurs, à ses lecteurs et ses personnages pour faire « hystoire »[8]. À cette soirée, trois interventions et une conversation : Emmanuelle Borgnis Desbordes : « Hardy-Dutronc, inspiration commune » ; Noémie Jan : « Sonia et Robert Delaunay : intuitions simultanées » ; Michel David : « Serge Gainsbourg : faire couple avec la langue » ; Myriam Perrin : « À quatre mains – Conversation avec Serge Le Tendre ». La soirée s’est clôturée par la découverte d’une vidéo des plus improbables entre Jacques Dutronc et Sonia Delaunay, véritable trouvaille… venue faire « point de capiton » : http://www.ina.fr/video/I10279341
[1] Bosquin-Caroz P., « Le réel du couple », Quarto, n°109, décembre 2014, p. 10.
[2] Alberti C., Appel à communication des Journées 45, Faire couple – Liaisons inconscientes.
[3] Bosquin-Caroz P., op. cit., p. 11.
[4] Hardy F., L’amour fou, Albin Michel, 2012, ou Éditions J’ai lu, 2014.
[5] Ibid.
[6] David M., Serge Gainsbourg, la scène du fantasme, Actes Sud, mai 1999.
[7] Stasse P., « Éditorial », Quarto, op. cit., p. 7.
[8] Le Tendre S. « La quête de l’oiseau du temps », Dargaud, depuis 1983.