Dans le champ de la protection de l’enfance, une formule fait consensus : recueillir la parole de l’enfant. Pour ce faire, il s’agit de se former et, parfois, d’utiliser des questionnaires protocolisés. Parallèlement, ce champ est traversé par les notions contemporaines d’autodétermination et d’enfant expert de sa vie. Qu’advient-il, dans ce contexte, du statut de sa parole ? Si l’enfant s’autodétermine, c’est qu’il sait tout seul ce qui est bon pour lui. La parole de l’enfant devient ainsi oracle ou révélation, faisant résonner, au pied de la lettre, l’expression selon laquelle la vérité sortirait de la bouche des enfants.
Pourtant, remarque Hélène Bonnaud, « certains enfants ont un usage du langage tel qu’il ne s’attache pas à signifier. Leur parole est quasiment intemporelle, ils ne peuvent rien dire d’eux, même de façon simple. […] Quand on ne comprend pas un enfant, il n’est pas question de penser qu’il ne s’exprime pas comme il faut. C’est ce qu’il dit qui est à entendre, au-delà des mots qui lui résistent1 ». Prendre les propos de l’enfant au pied de la lettre dénie son statut de sujet de la parole qui doit en passer par l’ordre du signifiant et par le lieu de l’Autre pour pouvoir « mentir, c’est-à-dire se poser comme Vérité2 ».
Pour ce qu’il en est du champ du droit, il n’en est pas de même : la vérité y est exactitude ou n’est pas – il n’est pas question, là, de l’idée de « vérité menteuse3 » dont les psychanalystes sont avertis. À la révélation recueillie, et parfois recherchée, doit répondre le discours du droit. Un enfant qui dévoile des faits en institution provoque parfois en retour une hâte à transmettre une note d’information au magistrat, qui est alors enjoint à prendre une décision. Heureusement, certains enfants peuvent être reçus par des magistrats qui, au titre de leur fonction, ont à charge de discerner dans la parole de l’enfant, les dits qui orienteront une décision.
Le postulat selon lequel l’enfant-tout-autodéterminé dit toujours la vérité remet sur les épaules de l’enfant-sujet-du-droit toute la responsabilité de ses propos et des actes qui en découlent. Ce parti pris se paie de la subjectivité de l’enfant. Lorsqu’une parole dévoile des faits graves, il s’agit de ne pas laisser un enfant tout seul avec les conséquences de son dire, car il y aurait là un risque que la parole se taise, ne se précise plus, n’ose plus s’affirmer… Accueillir la parole de l’enfant, lui donner le temps pour qu’elle s’énonce, est une position éthique qui donne à cette parole précieuse, sa dignité.
Adeline Suanez
[1] Bonnaud H., L’Inconscient de l’enfant. Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2013, p. 47.
[2] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 807.
[3] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 573.