Longtemps tenue comme valant peu, si ce n’est rien, la parole de l’enfant prend le chemin de devenir parole fondamentalement vraie – le discours analytique, d’avoir fait une place au dire de l’enfant, y a sa part. Cependant, cette question du vrai et du faux embrouille, voire brouille, et contamine les discours relatifs à l’enfant, absorbant dans son sillage les professionnels gravitant autour.
On voudrait la vérité une et indivisible. Lacan avertit pourtant les psychanalystes de l’écueil d’une telle approche, puisque la vérité est « menteuse ». On ne peut pas toute la dire, car « toute la dire, on n’y arrive pas », scande-t-il en ouverture de « Télévision ». La parole fait achopper la vérité en même temps qu’elle la véhicule comme décomplétée. Le paradoxe du menteur, recueilli en l’énoncé Je mens, en témoigne bien : pas de capture absolue de la vérité.
Cette latitude de la vérité, induite par la prise sur le langage, est particulièrement prégnante dans la clinique avec les enfants, dans leur usage des mots. Car, comme le dit Lacan, « quelque chose n’est pas encore […] précipité » entre le Je de l’énoncé et le Je de l’énonciation, donnant à la parole de l’enfant une coloration si troublante pour l’Autre qui en accuse réception. La question, soulevée par Jacques-Alain Miller, d’un « D’où ça se dit ? » s’impose donc, et convoque le sujet de l’inconscient, celui que représente un signifiant pour un autre signifiant.
Lacan observe le jeu de l’enfant avec les signifiants : appeler le chien (ou aussi bien le chat) « oua-oua » et ce, malgré toute la pédagogie assenée à lui faire appeler un chien « un chien » (et un chat « un chat »). Par ce jeu sur le signifiant, l’enfant traite l’arbitraire de l’Autre. Autrement dit, il convoque l’opération de métaphore : « c’est par le jeu de la substitution signifiante, indique Lacan, que l’enfant arrache les choses à leur ingénuité en les soumettant à ses métaphores ». Cet espace est nécessaire, puisqu’il permet qu’un écart advienne, offrant chance à ce que quelque chose, dans la structure, se distingue.
Les textes réunis dans ce numéro se font l’écho de l’ingénuité de l’enfant et de la valeur de sa parole jusque dans son accueil. La magistrate Sylvie Mottes souligne, dans l’entretien, toute la délicatesse avec laquelle la parole de l’enfant est prise dans le cadre judiciaire, non sans convoquer, du côté du juge, responsabilité et éthique.
Romain Aubé