Peau d’âne n’est pas une histoire pour les enfants mais une histoire galante qui nous initie avec ironie aux mystères du féminin.
Le roi, le père, sont ici des trompe-l’œil, d’ailleurs il n’y a que des trompe-l’œil dans cette histoire et dans la façon dont on lit Perrault. C’est un moderne, c’est quelqu’un qui nous montre les ravages de la loi, c’est de l’ironie galante qui va loin.
Ce qui compte et qui fait loi dans ce conte, c’est d’abord le désir de la mère, qui veut être la seule au-delà de la mort ; bien que ce soit présenté comme contingence « si vous rencontrez une femme plus belle […] que moi ». Elle se pose comme l’exception qui ne peut être remplacée que par une exception, une exception à toutes les autres, c’est-à-dire dans une logique où elle se situe à la place de l’hommoinzun. C’est du moins ce qu’entend le roi qui fait de la contingence une nécessité. La mère en effet n’est pas comme les autres… dans le désir du père.
En tant que phallus parfait de son roi de mari, la mère veut qu’il ne soit jamais séparé de son souvenir. Alors que son deuil ne trompe personne. Le roi croit que l’Autre veut qu’il ne soit jamais castré.
Le secret de la jouissance sans cesse de ce roi, c’est l’âne d’or « au lieu le plus apparent, Un maître âne étalait ses deux grandes oreilles » car il en produit, de l’or. Cet âne qui résonne avec L’Âne d’or d’Apulée fait de ce conte une métaphysique. Il est le centre du conte, il dévoile son mystère. Mais ici, le maître qui a des oreilles pour ne rien entendre, c’est surtout le roi.
On pourrait lire ce conte comme une variante de la « lettre volée », l’un ne voit rien, l’autre n’entend pas. L’âne est aussi une figure traditionnelle de la jouissance phallique. C’est une jouissance obtuse et qui reproduit la puissance sans autre limite que la castration si elle advient. L’âne d’or est le secret de la puissance du roi qui lui permet d’éviter « les ordures » ; on précise que l’âne n’en produit pas et il y a là un détail crucial.
En effet l’animal évite au roi de rencontrer l’objet a cause du désir, sous la forme de l’ordure, du reste, de l’objet anal, actif et méconnu. L’Âne c’est la puissance de l’avoir, sans reste, soit sans le manque et le désir.
Alors que l’on pense que le roi ignore la règle et la loi, il montre qu’il ne peut qu’accomplir dans l’inceste ce que le désir de la mère, transformé en loi nécessaire et non plus en simple contingence, avait de monstrueux.
Perrault fait au passage un pied de nez aux Jésuites qui arrangeaient la loi dans le sens du désir et montraient qu’elle pouvait même le favoriser. Les Jésuites pouvaient couvrir les turpitudes jusqu’à l’inceste.
Peau d’Âne, elle, veut bien être l’agalma et en avoir, avoir des robes et des bijoux. Ainsi, elle est à la fois phallus et agalma. Mais elle accepte de mettre fin à la puissance de l’âne, soit celle du phallus caché qui assure la toute puissance du roi. Elle opère par là une amorce de castration qui va s’achever par sa séparation du père. C’est l’animal qu’on sacrifie, un totem, et non le père.
Par là, Peau d’âne ne sera plus ni le phallus de la mère ni celui du père. Elle ne le sera plus que par le biais du semblant, celui de la peau d’âne. Elle le sera par l’opération de la dépouille phallique de l’âne qui cache maintenant la persistance de ses charmes et de son attrait.
On avait coutume, comme le note Apulée, de coudre parfois les victimes dans la peau d’un animal. Supplice au cœur des fantasmes masochistes, car l’animal avant tout est un être sans parole. Mais il représente une issue hors de l’humain. À ce niveau, Peau d’âne, sous la peau, se fait voix cachée et regard car sa beauté devient invisible, elle incarne l’inhumaine, une femme plus réelle.
Ainsi dissimulée, elle peut se permettre d’exister un peu au-delà du phallus, comme un trésor au milieu des ordures. Elle devient ainsi objet a, au-delà de l’agalma ; elle trouve alors une place propre à être la cause du désir, méconnue par le père. Le père qui a cru la mère sans voir qu’elle n’était au fond que cet agalma. Il faut rencontrer un Prince pour que ce statut d’objet cause du désir se réalise ; avec cette hésitation entre la merveille et l’horreur, la bête, qui est ici la trace de la jouissance féminine de Peau d’âne.
Ce conte est un roman du phallus et la démonstration aussi bien que le narcissisme du désir féminin utilise le phallus mais ne se réalise vraiment qu’à s’en séparer pour exister ailleurs comme objet a et au-delà.
Peau d’âne va ainsi plus loin que sa mère, en castrant le père pour sa plus grande joie. Mais l’histoire ne dit pas quel genre de mère sera Peau d’âne, fille unique par bien des côtés. Elle rétablit la singularité féminine, sans exception, qui nous permettrait de voir autrement l’histoire de la pomme d’or sur quoi Perrault conclut.