Les politiques rêvent la science ; les scientifiques contribuent parfois à ce malentendu en espérant obtenir les moyens de leurs quêtes et les marchands transforment tout cela en produits. Pour le vivant et bien sûr pour l’espèce humaine, cela va concerner la procréation (en jouant sur l’équivoque de la filiation), le vieillissement et la mort. La science a cherché à cerner le critère de la mort et elle a créé un écart entre la conception et l’acte sexuel. Tous ces domaines relevaient auparavant du religieux. Nous voyons là le grand débat de ce qui fut le siècle des Lumières dont on a pu penser, à partir des révolutions industrielles, que la science en était la grande gagnante. Mais à ignorer le sujet, à rabattre l’individu sur le corps, celle-ci a commencé à marquer le pas.
La course en avant de la psychiatrie pour toujours plus de cause biologique en est un exemple. Mais la question du vieillissement et de la mort a bousculé la médecine là où la religion fait offre de raison. Dans le débat de notre moderne civilisation occidentale, la loi Claeys – Leonetti1 évoque, à défaut de mort, « la fin de vie », concept dont la limite est peu définie dans son empan. Mais il y a bien une fin à toute vie, c’en est même le principe et, pour Lacan, cela rend la vie du sujet supportable2.
Dans notre modernité où le sujet se pense propriétaire de son corps, cela amène la question du suicide assisté, de l’aide active à mourir etc. Didier Sicard3 fait le constat d’un changement actuel avec les médecins qui, par le passé, acceptaient l’injection létale aux patients qu’ils savaient ne pouvoir traiter dans leur fin de vie. D. Sicard propose une interprétation à ce déplacement. Mais à propos de la crise du Covid, il note un problème plus global qui renvoie à une conception de la vie du côté du réel du corps qui forclôt le sujet au nom de la science : « Et avoir protégé la vie organique au détriment de la vie relationnelle qui est beaucoup plus importante, c’est irresponsable. C’est même une vision de notre monde terrifiante parce que cela signifie que ce qui intéresse les personnes, c’est la vie au sens organique du terme4. » Nous ne parlons pas de la même façon de la vie si nous évoquons le corps vivant ou la façon dont le sujet se pense vivant. Avec cette notion de vie, l’humain ne cesse de se perdre, témoignage de la persistance d’un réel inassimilable dans l’existence même du sujet. Si la reproduction se heurte au réel du non-rapport sexuel chez l’humain, que le décrochage de la reproduction d’avec l’acte sexuel vient faire flamber, la mort est son contrepoint puisqu’elle en est, de fait, la cause. Il y a reproduction du fait de la durée limitée de l’individu pour maintenir l’espèce. De cela, le sujet ne peut rendre compte et la science montre ses limites dans son matérialisme. De là à dire que cette science tendrait à prendre la place de la religion, la marge semble immense…
Michel Grollier
[1] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 du Code de la santé, issue du travail de la commission coordonnée par Claeys et Leonetti.
[2] Lacan J., « Conférence de Louvain » texte établi par Jacques-Alain Miller, La Cause du désir, n°96, juin 2017, p. 11.
[3] Sicard D., « Plus on parle du soin, plus il disparaît », Mental, n°47, juin 2023, p. 41-56.