« Si tu veux pouvoir supporter la vie, soit prêt à accepter la mort1. » Par cet adage subversif, Freud ne formule-t-il pas un véritable programme pour aborder la question de la mort dans la vie ? Dans l’inconscient, précise-t-il, elle ne peut pas être représentée. L’être parlant se sait mortel mais gouverné par une croyance indéfectible à l’immortalité, logeant ainsi en son cœur, le déni de la mort.
Depuis la nuit des temps, l’homme s’est défendu de ce réel par la croyance et les représentations. Celui qui quitte le monde des vivants, gagne le monde des morts perpétuant ainsi un mystère, un espace pour la question. Mais progressivement depuis la moitié du XIXe siècle, la relation à la mort a été bouleversée par le discours de la science et celui du capitalisme. La mort s’est laïcisée, commercialisée et s’est déplacée à l’hôpital, dernier refuge de nos contemporains, où plus de 70% des personnes viennent mourir. Depuis une cinquantaine d’années, le discours médical continue à repousser la mort vers la grande vieillesse redoublant le déni de l’homme à l’égard de la mort. Elle est devenue l’affaire des professionnels du soin et des experts de la gestion.
Avec cette nouvelle donne, le discours politique a fait voter, non sans mal, deux lois consacrées aux soins palliatifs qui cherchent une médiation entre le refus de l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.
La clinique des soins palliatifs a des effets civilisateurs probants dont le primordial concerne la demande de mort formulée par le patient, demande qui se module à partir du moment où elle est entendue. Il n’en est pas de même pour celle de l’entourage. Ces effets sont rendus possibles par la conjugaison du soulagement de la douleur et de la présence d’un lieu et d’un lien d’adresse qui offrent la possibilité au patient de supporter l’insupportable de sa finitude. Mais malgré cette réussite, l’hôpital les a toujours considérés comme trop coûteux pour un résultat difficile à évaluer.
Comment saisir qu’une troisième loi sur « la fin de vie » soit en préparation ? La pandémie du Covid avec son cortège de morts à l’hôpital a mis en impasse les soins palliatifs. Elle a brutalement réveillé le rêveur d’une belle mort, digne et sans douleur, en la réintroduisant dans notre quotidien, laissant le sujet désemparé. Promise de longue date, épinglée sous le signifiant « fin de vie » éclipsant celui de mort trop insupportable au monde contemporain, elle devrait voir le jour sous peu. Elle vise à ce que chaque citoyen puisse enfin gérer sa fin de vie. L’acmé du projet de loi est l’aide active à mourir, un franchissement inédit et radical par rapport aux lois antérieures, qui vient remettre en cause la relation que l’homme entretient à l’égard de la mort.
Pourquoi cette loi aux échéances sans cesse repoussées, est-elle si difficile à présenter au vote ?
Le texte achoppe sur un seul point, celui du choix de cette aide entre suicide assisté ou euthanasie. Cela ne présente-t-il pas l’antinomie qui existe entre le réel de la mort et la mort mise en loi ?
Dans sa conférence à Louvain2, Lacan réitérant l’enseignement de Freud apporte une réponse qui entrave ce déni de la mort. « Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir, […] ça vous soutient3 ». Pour se faire entendre, il indique que la mort « n’est qu’un acte de foi4 ».
Claudine Valette-Damase
[1] Freud S., « Notre attitude à l’égard de la mort », Essais de psychanalyse, Payot, Paris, 2001, p. 267.
[2] Lacan J., « Conférence de Louvain », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n°96, juin 2017, p. 7-30.
[3] Ibid., p. 11.
[4] Ibid.