À Pézenas, le 14 octobre, s’est tenue la rencontre préparatoire aux 47ème Journées.
Elle s’est organisée en appui sur l’articulation de ce qui est actuellement au travail à l’ACF Voie Domitienne et la Journée préparée de longue date par l’Association d’Études et de Recherches du piscénois sur le thème du « décrochage scolaire ». L’éclairage de Philippe Lacadée, entouré d’Ariane Chottin, de Véronique Mariage et de Jean-Claude Affre a permis la circulation d’une parole vivifiée, l’approfondissement des points délicats que cette appellation recouvre et, le dégagement que peut la psychanalyse devant les embarras d’un réel qui fait symptôme social.
Durant 2 années, l’AER, petite unité de travail regroupant psychologues, éducateurs, psychiatre, psychanalystes, enseignantes et lycéens, a, à partir des expériences de chacun, interrogé ce « J’aime pas l’école » pour se faire le destinataire du dit décrochage scolaire. « Oui…et alors ? »
Nous souhaitions suspendre l’impératif de la demande de nos sociétés, qui dans l’urgence de bien faire, demandent d’évaluer, de réparer ou de faire taire des manifestations devenant angoissantes et intolérables. Car chacun dans sa pratique d’enseignant, d’accompagnant, de professionnel de l’écoute a perçu « qu’un quelque chose se dit, se joue » dans ce dérèglement présenté comme défaut, tour à tour de l’enfant, de la famille ou de l’école. À quoi ça sert d’apprendre et que nous apprennent les enfants qui n’apprennent pas ? En quoi le champ de la transmission scolaire concerne-t-il le domaine de la psychanalyse ?
La position qui nous incombe pour traiter de la question : c’est déjà entendre un décrochage comme un message lancé et que l’on accueille avec sa dimension d’énigme et d’impasse. À qui l’on dit oui, pour faire un pas de côté et la déployer pour chaque singularité, sans que rien ne soit garanti d’avance.
Dans la salle-cabaret de l’illustre Théâtre, la matinée débuta par la lecture spatialisée d’extraits choisis du « Banquet d’Ajaccio » de Philippe Lacadée, interprétée par les collègues, comédiens d’un jour 1.
De l’obscurité faite dans la salle, des corps répartis dans l’espace juste éclairés d’un faisceau de lumière, ont surgi les voix d’illustres cliniciens, écrivains, philosophes, poètes du banquet fictif. L’effet de surprise a démontré ce pouvoir commun à la poésie et la psychanalyse de changer de discours, de s’orienter du point de défaillance des représentations, de l’énigme, du malentendu.
Puis plusieurs enseignantes ont exposé leurs vignettes pratiques.
Notamment celle d’Ariel F., professeur de Français au collège, qui présenta Barnabé, élève arrivé en retard à la rentrée et n’ayant pu participer à la séance liminaire et qui répond à l’invitation de l’enseignante de faire connaissance « Moi, je suis le roi des dabbeurs ! ». L’enseignante tente de se faire expliquer ce signifiant étrange qu’elle ne connaît pas. Mais Barnabé ne peut rien en dire : « un dabbeur, quoi, un dabbeur » ; cela n’a aucun sens. Malgré cela, Ariel attrape ce qui a surgi et l’adolescent l’entend. La rencontre, ici, c’est quand tout à coup, l’enseignante accroche ce qui était décalé pour accrocher, créer un lien avec lui et le rendre présent.
Cependant, cet élève en grande difficulté ne veut ni lire, ni écrire et ne participe pas en classe. Ariel ne céda pas au découragement, faisant preuve d’une grande attention. Un système de tutorat lui permet de lire et écrire mais « sans percer son opacité ». »Toute l’année j’ai eu un espace vide entre lui et moi, un lieu de non rencontre ». Pourtant, l’enseignante par « un curieux détour », alors qu’elle présente l’Illiade, raconte un récit pour la jeunesse, de Jo Witek Y a pas de héros dans ma famille. Par un circuit de regards, Barnabé s’anime, l’enseignante voit qu’il la regarde et l’écoute. « Pour la première fois, j’ai vu une lueur de vie dans son regard. L’enfant était là, silencieux et présent ».
Le décrochage ce n’est pas l’échec, c’est le défaut du lien et tout l’art, c’est d’accrocher quelque chose.
1 Nous saluons l’engagement de l’artiste, arthérapeute, Sylvie Alranq, à laquelle nous devons cette mise en scène en scène du « Banquet d’Ajaccio » de P. Lacadée