Nous avions donné rendez-vous à Philippe Lacadée ce mardi 3 octobre au lycée professionnel horticole de Chadignac, au milieu des champs et des serres de la campagne saintongeaise. Sur le plan géographique : un « trou ».
Titre de la soirée : « Quand s’apprend la tête ! Eveil et impasses du désir d’apprendre à l’adolescence ». Soirée préparatoire aux J47.
Diffusion large, entrée libre, volonté d’ouvrir au grand public. Pour seules indications sur une potentielle mobilisation, les échanges préalables que nous avons pu avoir au sein d’établissements scolaires ou médico-sociaux de l’agglomération. A priori, on mise sur un public qui entend peu parler de psychanalyse au quotidien. Après un pari sur le lieu de la conférence, pari sur le public attendu donc. Second trou. Les conditions idéales pour qu’une rencontre puisse avoir lieu, avec ses effets de surprise.
20h, nous accueillons Philippe Lacadée. Environ 200 personnes présentes. L’amphithéâtre est plein, le trou a fait fonction d’appel. Ce lieu en marge de la ville permet peut-être d’offrir un point d’où s’extraire du discours du maître qui étouffe au quotidien les professionnels qui ont à accompagner les adolescents et qui viennent ce soir entendre autre chose. Le lieu est finalement pertinent, reste encore à trouver la formule.
Pour cela, il nous fallait un psychanalyste qui a l’art de savoir y faire le trou. P.Lacadée prend le micro, ses premiers mots seront : « Merci de m’avoir invité…dans ce trou perdu »! Ce sera le point de départ d’une conférence qui va donc nécessairement s’inventer au fil de la soirée, au gré d’une rencontre avec un public présent, qui réagit, qui rit. Le trou permet le surgissement, la surprise, les traits d’esprits fusent, le public est saisi. P.Lacadée nous donne à entendre et à voir, mettant en jeu ces deux objets du désir si importants pour que quelque chose passe, se transmette, en lien avec le thème de cette conférence.
L’adolescence est bien ce moment de rencontre avec un trou, trou dans le savoir sur le sexuel. P.Lacadée, s’appuyant sur le titre de la conférence, nous fait la démonstration de la modernité de la découverte freudienne, et de l’intérêt de tenir compte de ce « ça » qui occupe l’adolescent. « Ça prend la tête ! », « ça me gave ! » coté adolescent ; « je n’ai pas été formé pour ça ! » côté enseignant. P.Lacadée fait le tour des impasses sur lesquelles butent tant les adolescents que les enseignants ou les éducateurs. Le réel est peu à peu cerné.
Freud utilisait la métaphore du tunnel pour parler de cette délicate transition qu’est l’adolescence. Temps de l’exil, mais qui peut aussi devenir temps de l’éveil, et notamment éveil du désir d’apprendre. P.Lacadée nous rappelle ainsi que pour Freud lui-même, à l’adolescence, certains professeurs alimentaient « un courant souterrain qui ne tarissait jamais »1, faisant valoir la logique structurale du tunnel, et surtout ses effets en la présence d’un professeur qui sait se faire passeur d’un certain savoir, non sans user de son corps et du verbe.
Comment démontrer qu’une vraie vie à l’école est possible – en référence au titre d’un des ouvrages de P.Lacadée ? Tout simplement par une démonstration en acte : mardi soir, c’était la vraie vie dans l’amphithéâtre du lycée de Chadignac. Les témoignages recueillis après-coup nous l’ont confirmé.
De l’art de savoir y faire avec le trou, ou comment enseigner ce qui ne s’enseigne pas.
1 Freud S., Sur la psychologie du lycéen, 1914.