Le tirage au sort de la soirée des cartels fut une contingence qui eut un effet d’appel, induisant une rencontre. Elle fait suite à la rencontre avec ce savoir inédit qu’est la théorie lacanienne. Chacun peut en faire l’expérience : parcourir seul ce corpus théorique n’est pas sans difficulté. Au texte, on s’y cogne, comme au réel qui résiste à ce que le signifiant le réduise sans reste. En mordant sur le réel, ce discours opère un trou dans le savoir institué, qui appelle à un déplacement et à un effet subjectif.
Le savoir, entre invention et trouvaille
Dans « Télévision », Lacan pose la question « que puis-je savoir ? » [1]. Sa conception logique de la contingence, à laquelle se rapporte la dimension de la rencontre, nous en donne un indice, pour autant qu’elle rompt avec le déjà-connu. Elle introduit à un autre type de savoir. La contingence, ce qui cesse de ne pas s’écrire, est affine au réel, avec lequel seul un savoir-y-faire peut se dégager comme invention. L’invention rompt avec l’illimité que peut revêtir la recherche de savoir sur fond de manque à être. S’y oppose la rencontre avec un impossible, une limite.
Dans le Séminaire XI, Lacan situe l’inconscient dans un trébuchement de la parole, une béance, où se produit, écrit-il, « la trouvaille ». Cette trouvaille a un accent de surprise par lequel le sujet trouve « à la fois plus et moins qu’il n’en attendait » [2]. Dans le cartel, comme en analyse, se risquer à son dire propre ouvre la voie à un savoir insu. L’engagement dans l’énonciation peut permettre au sujet de tomber sur ce qui était là, en attente d’être lu. Cette trouvaille, écrit Lacan, « dès qu’elle se présente, est retrouvaille […] elle est toujours prête à se dérober à nouveau, instaurant la dimension de la perte » [3].
Dans son article sur « Du “réel contingent” », Chantal Bonneau écrit que « la logique de la rencontre a toujours son point de malentendu, de ratage, […] car le sujet est seul, exilé de la langue » [4]. Cette solitude de l’être parlant, « non seulement [elle] peut s’écrire, mais elle est même ce qui s’écrit par excellence, car elle est ce qui d’une rupture de l’être laisse trace. » [5] Dans le cartel, un effet de formation peut s’obtenir à partir d’un pas supplémentaire : formuler un dire qui rende compte du chemin ayant permis d’en retrouver la trace.
Effets de formation et transfert de travail
Comme l’indique J.-A. Miller, « l’enseignement de l’inconscient ne peut être transmis au sujet que par les voies du transfert. En l’occurrence, c’est l’amour qui met au travail. L’amour s’adresse au savoir, le résultat est un travail, celui de l’analysant » [6].
Le dispositif du cartel pousse néanmoins le cartellisant au-delà de l’amour du savoir, le mettant en position de travailleur. Ce qui est transféré de l’un à l’un, et non de un à tous, c’est le travail, comme transmission du désir de savoir. Cette opération repose sur un effet de désupposition de savoir qui implique que la fonction de plus-un soit incarnée, non par un maître, mais par quelqu’un qui fasse valoir l’effet de sujet. À l’instar du discours hystérique duquel J.-A. Miller épingle la structure du cartel, la production d’un savoir, noté S2, implique l’inscription du cartellisant comme S1, celui qui travaille. Le dispositif du cartel vise à produire un savoir qui ne soit pas celui de la demande adressée indéfiniment à l’Autre mais qui tienne compte de la barre sur grand A.
Dans cette formation qu’est le cartel, chaque participant est invité à trouver sa question, celle qui l’anime et qu’il articule à partir d’un trait propre. Cette question, ainsi formulée, conditionne la possibilité de s’y engager à partir d’un savoir troué. C’est de cette perte que s’oriente le cartellisant dans sa recherche, et sa première trouvaille est cette boussole qui l’aiguille dans sa formation.
Jérémie Wiest
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[1] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 535.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 27.
[3] Ibid.
[4] Bonneau C., « Du “réel contingent” », Ironik [en ligne] n° 14, mars 2016, disponible sur internet.
[5] Ibid.
[6] Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir, n° 99, juin 2018, p. 147-148, disponible à https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-2-page-137.htm