Pour son numéro 332, L’Hebdo-Blog a choisi de mettre la focale sur ce phénomène civilisationnel que constitue le flux migratoire contemporain, inédit à bien des égards, notamment par son caractère massif et continu. Entre indifférence et indignation, le monde occidental le rencontre depuis maintenant plus d’une décennie, souvent dans l’impuissance, parfois dans le rejet, mais aussi dans l’accueil. Les « migrants » font irruption dans notre réalité citoyenne, c’est-à-dire, avant tout, comme signifiant du discours courant. Récemment, sur la place publique, ils ont été l’objet de l’intérêt du législateur, voulant ainsi donner un cadre à ce phénomène qui prend une ampleur toujours plus vaste, dans l’espoir de le juguler, si ce n’est de le maîtriser. C’est là un enjeu politique majeur pour l’avenir le plus proche.
La question simple qui s’est posée à nous pour réaliser ce numéro est la suivante : comment appréhender ce phénomène à partir du discours analytique, en tant qu’il est l’envers du discours du maître ? Jacques-Alain Miller nous livre déjà une piste lorsqu’il nous indique que « les migrants viennent chercher en Occident ce qui est pour eux une autre jouissance – on attend des centaines de millions de personnes au cours du XXIe siècle, ce sera un phénomène à la fois massif et essentiel dans la restructuration de nos sociétés. […] ces grandes migrations sont un symptôme du malaise dans la civilisation dans le monde civilisé, aussi bien dans leur civilisation que dans la nôtre. […] Il s’agit de l’exode de la jouissance, de la jouissance qui est déportée1 ».
Considérons donc ici qu’au-delà de ce qui se joue sur la scène médiatico-politique, il y a un réel qui suscite notre intérêt en tant qu’il est annonciateur d’un remaniement profond de ce qui constitue pour chacun et chacune son mode de rapport à l’Autre, aussi bien que son mode de rapport à sa propre jouissance.
Pour cela, trois collègues psychanalystes ont accepté de prendre la plume pour nous faire part de leur abord singulier du migrant, pas sans lien avec leur pratique qui implique la dimension de l’acte. Par ailleurs, un entretien avec un invité pour qui la question des migrants est au centre de ses recherches, Alexis Nuselovici, apporte quelques éclairages et pistes de réflexion qui ne sont pas sans croiser ceux que suscite l’orientation lacanienne.
Hervé Damase
[1] Miller J.-A., « Enfants violents », in Leduc C. & Roy D. (s/dir.), Enfants violents, Paris, Navarin, 2019, p. 23.