Être l’objet de l’Autre est la position première d’un sujet. Aussi est-il primordial, lorsqu’il est en position de victime, de repérer comment il se fait l’objet de l’Autre.
Lorsque Océane, vingt-huit ans, fait une demande de traitement au CPCT, elle énonce qu’elle a « fait de l’anorexie » et qu’elle pense à se tuer tout le temps. Elle vient donc pour que ça change. Ce traitement mettra en évidence que ce sujet se fait l’objet de l’Autre maternel.
S’enfermer dans son apéricube
Océane n’arrive plus à sortir de chez elle depuis deux ans. Souvent, elle reste dans l’obscurité, seule, et ses idées noires la figent durant des heures. Elle enclôt son existence dans l’espace étriqué de son appartement qu’elle appelle avec humour : « un apéricube ».
Enfermée dans une jouissance Une qui la coupe de l’autre, elle a interrompu sa formation pour « éviter trop de contacts avec les autres ».
Confrontée à la perte de son père à l’âge de treize ans, Océane n’a senti un « contrecoup » que deux ans après. Sa mère s’était effondrée et Océane l’avait soutenue. À partir de quinze/seize ans, elle fait plusieurs « T.S ». Invitée à en préciser les modalités, elle déplie alors la répétition d’un passage à l’acte qui réussit à échouer. Océane est fatiguée de vivre mais pas au point d’en finir. Nous ponctuons la quatrième séance sur ces mots : « C’est la vie qui vous tient, la mort ne veut pas de vous ! » Elle a ainsi trouvé une accroche au CPCT : ici elle peut dire ce qu’elle n’a jamais dit à personne.
Au fil des séances, Océane se raccroche peu à peu à la vie et aux autres. Mais une autre position de jouissance se fait jour : elle est victime de sa mère et de son inquiétude.
Être une soupape pour sa mère
Depuis qu’elle a quitté le domicile familial, Océane se voit imposer un appel quotidien de sa mère. Celle-ci lui téléphone chaque jour, sans exception, à vingt heures précises. Freud repère que ce qui l’emporte chez certains sujets, « ce n’est pas la volonté de guérir, mais le besoin d’être malade »[1]. Et force est de constater que cette jeune femme ne peut se passer de cette mère ! Chaque semaine, elle peut dire qu’elle ne veut plus y aller mais elle y retourne. Un week-end, sa mère a insisté auprès d’elle pour qu’elle vienne parce qu’elle ne supporte plus la grand-mère. Océane énonce alors sa position d’objet maternel : elle sert de soupape à sa mère qui n’en peut plus de la grand-mère, comme elle a servi d’interprète entre sa mère et son frère quand il a interrompu ses études.
Le traitement au CPCT a permis à Océane de reprendre goût à la vie. Elle sort de son apéricube, elle renoue des liens qui s’étaient distendus. Ce sujet n’est pas tout à fait parvenu à se déloger de la position d’objet de l’Autre. Océane s’impose toujours de revenir chaque week-end auprès de sa mère et de lui répondre au téléphone tous les soirs. Cependant son existence est beaucoup moins mortifère ! Nous faisons alors l’hypothèse que l’amorce d’une séparation d’avec l’Autre maternel a produit un certain allègement du sujet.
[1] Freud S., « Le Moi et le Ça », Essais de psychanalyse, Payot, 2001, p. 293.