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Trois questions à Philippe Pujol, grand reporter à Marseille

Par Cécile Favreau de Rivals
31 mars 2024
Trois questions à Philippe Pujol, grand reporter à Marseille

© Pascal Grimaud

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Vous avez reçu le prix Albert-Londres 2014 pour votre série d’articles «Quartiers shit» publiés dans le quotidien régional La Marseillaise. Vous avez publié entre autres French deconnection1 et La Fabrique du monstre2. Puis vous avez été promu en 2014 grand reporter, mais votre terrain d’élection a toujours été Marseille, votre ville d’origine, et votre sujet d’investigation le crime et ses avatars dans les quartiers nord. Pourtant, vous avez pu dire qu’à la base vous n’étiez pas passionné par les faits-divers. Alors, qu’est-ce qui vous a poussé et vous pousse encore à écrire sur le grand banditisme à Marseille?

J’ai été « nommé volontaire » pour être le préposé à la rubrique fait-divers à mes débuts en 2004 à La Marseillaise, journal communiste de Marseille, dont l’approche sociale sur tous les sujets a été importante dans la suite de mon travail. Sans passion particulière pour le fait-divers, je me suis rapidement intéressé au sens qui se trouve derrière la criminalité. La criminalité donne le cadre d’une société. Elle en est la marge. Ce qui n’est pas légal rentre dans cette marge. Les déviances résultent toujours d’un dérèglement social qui dépasse largement l’individu. Ce n’est donc pas vraiment le banditisme qui m’intéresse mais plutôt, « pourquoi le banditisme ? » et comment il se maintient et mute avec les transformations de notre société. Il y a derrière la criminalité, toujours, une exploitation de la vulnérabilité d’un individu ou d’un groupe d’individus. Il y a cinq niveaux de criminalité selon moi : la délinquance de survie, qui est exploitée par un gangstérisme de quartier, qui est le bras armé d’un banditisme entrepreneurial, lui-même sous-traitant d’une criminalité internationale chapeautée par une criminalité financière. Chaque niveau de banditisme exploite le niveau inférieur, avec comme chair à canon principale les personnes les plus vulnérables de notre société capitaliste.

Je vous ai quelquefois entendu dire, lors d’interviews, qu’à Marseille : « il n’y avait pas de zones de non droit, mais des zones de tous les droits ». Qu’est-ce qu’une zone de tous les droits ? Une zone où on a le droit de tout faire ?

Ce sont des zones où tout est possible. Tout est possible, mais pour qui ? Pour le monde politique et le monde économique. Des zones dont la perpétuelle dégradation sociale et immobilière apporte une valeur insoupçonnée ; où des investisseurs mondiaux permettent à de gros groupes internationaux de trouver des marchés de rénovation urbaine de façon perpétuelle ; où des entreprises du BTP sont prêtent à payer des bakchichs pour avoir des marchés ; où la dégradation sans cesse entretenue par des réseaux de stups est une aubaine ; et où ces mêmes réseaux de stups trouvent un vivier infini de personnes vulnérables à exploiter pour en faire les petites-mains de trafics dont on ne sort finalement qu’entre quatre murs ou quatre planches. Le monde politique y trouve là des zones à exploiter, les uns à des fins sociales, les autres à des fins sécuritaires. Ce sont des zones de tous les droits pour ceux qui instrumentalisent la misère de leurs habitants.

Dans votre livre La Fabrique du monstre, vous rendez compte de dix ans d’enquête au cœur des quartiers les plus pauvres et dangereux de Marseille. Vous décortiquez tout le système social, économique, sécuritaire et politique qui corrompt cette région, et fabrique les petits malfrats, parfois de tout jeunes gens qui vont ensuite s’entretuer… Si les mêmes causes semblent produire les mêmes effets, existe-t-il d’après vous une issue à cette situation?

Depuis 2012, j’alerte de la montée des radicalisations des quartiers populaires. Trois radicalisations. La plus médiatique est la radicalisation religieuse, mais elle n’est pas la plus massive. Les deux autres sont bien plus destructrices. La radicalisation délinquante d’abord, avec une génération de jeunes qui brûle son avenir en quelques mois dès l’adolescence. Une forme de suicide social, une volonté de mourir avec le panache de ces bandits de légende dont ils entendent les mythes en permanence. Ensuite, un radicalisme politique, avec une montée de l’extrême droite qui finira par toucher, je le pense, les quartiers populaires pourtant massivement occupés par des gens issus de l’immigration ou immigrés eux-mêmes.

Ces trois radicalisations sont les enfants d’un seul monstre : celui des malfaçons de notre République. Il faut plus que jamais lutter pour les plus vulnérables (et la santé mentale dans les quartiers populaires est un sujet bien trop négligé aujourd’hui), il faut accentuer les contrôles administratifs pour lutter contre les clientélismes politiques comme économiques (cours des comptes3 et inspections des services ont plutôt tendance à perdre des moyens) et il faut laisser une plus grande liberté aux juges anti-corruption.

C’est en identifiant parfaitement les marges de notre société que nous pourrons en réduire l’épaisseur. La criminalité est le marqueur de cette marge. Les décisions politiques en font le tracé.

Questions posées par Cécile Favreau de Rivals


[1] Pujol P., French deconnection, au cœur des trafics, Paris, Robert Laffont, 2014.

[2] Pujol P., La Fabrique du monstre, Paris, Éditions Les Arènes, 2016.

[3] Appelées aujourd’hui, chambre régionale des comptes.

Numéro : L’Hebdo-Blog 333
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