Durant neuf mois s’est tenu au palais de justice de Paris le procès des quatorze accusés des attentats du 13 novembre 2015, afin de juger leur participation dans le crime le plus meurtrier jamais commis sur le sol français. Leurs prises de parole, publiées dans Le Monde, ainsi que par Emmanuel Carrère dans son livre, V13, soulèvent des questions cruciales sur l’étrange déconnexion dont un sujet peut faire preuve, quant à son implication dans un passage à l’acte meurtrier. Forclusion, incroyance, démenti, vacuité subjective, jouissance sadique, canaillerie, si les témoignages naviguent, au cas par cas, entre des positions et modes de jouissance hétérogènes, ils partagent un trait saillant : un rejet massif de la responsabilité subjective ; une éjection de l’implication de sujet, aussi radicale que la Chose les ayant conduits à commettre ces offrandes sacrificielles d’un nouvel ordre – formes de rejet d’autant plus vertigineuses qu’elles se vérifient dans une parole déposée après six ans d’incarcération et d’isolement.
Ainsi, le seul accusé encore en vie, ayant participé au « convoi de la mort », déclare : « Tout d’abord, je tiens à témoigner qu’il n’y a pas d’autre divinité qu’Allah, et que Mohamed est son serviteur et son messager. » Puis : « Cela fait six ans que je suis traité comme un chien. Et si je ne me suis jamais plaint, c’est parce qu’après la mort, on sera ressuscité. »1 L’axe de sa défense ? Un sommet d’ironie : « Je tenais à dire que je n’ai tué et blessé personne, pas même une égratignure.2 »
Huit ans après le basculement vers l’allégeance à l’idéologie de l’État islamique, sa lecture de sa participation aux attentats, et plus largement sur ce qui ordonne le cours du monde, reste figée au même essaim signifiant. Si ses versions sur son implication varient, celles-ci ne masquent pas la logique qui les ordonne. L’œil pour œil est toujours l’axe à partir duquel il répond aux questions les plus diverses. Les décapitations de l’EI ? : « Ici, en France, avant que Mitterrand n’abolisse la peine de mort, il y avait des décapitations et les gens étaient pour.3 »
Son ami d’enfance, accusé aussi, déplie cette même logique : « C’est normal, quand on vous tue en Syrie, de venir tuer en France. » Aucun écart non plus d’avec la certitude première : « Vous dites que je suis radical, moi je dis que la charia c’est la loi divine, elle est au-dessus de la loi des hommes. »4
Pour approfondir les composantes de cette capture blindée, il est recommandé de lire l’ouvrage d’Adriana Campos. Elle décortique sa dimension indialectisable, son redoutable magnétisme « comme tampon à la douleur d’exister sans transcendance5 », la version monolithique de l’Un prônée par l’islamisme, et les conséquences de l’absence de mise de la fonction de la castration6. Le procès du 13 novembre témoigne de ces conséquences, dans son versant le plus cru et le plus réel. Nous reviendrons ailleurs de façon plus détaillée sur l’hermétisme d’un appareil discursif qui, au nom de la religion, se voue corps et âme à la pulsion de destruction.
Camilo Ramírez
[1] Pieret C., « Procès du 13-Novembre, jour 1 : Salah Abdeslam, combattant revendiqué de l’État islamique », Radio France, 8 septembre 2021, disponible sur internet.
[2] Seelow S., « Au procès des attentats du 13-Novembre, les paradoxes de Salah Abdeslam : “Je ne suis pas un danger pour la société” », Le Monde.fr, 10 février 2022, disponible sur internet.
[3] Ibid.
[4] Carrère E., V13, Paris, P.O.L., 2022, p. 210.
[5] Campos A., Ce qui commande le surmoi. Impératifs et sacrifices au XXIe siècle, PUR, 2022, p. 292.
[6] Ibid., p. 287.