
Tel est pris qui croyait prendre
Les fausses confidences de Marivaux au Théâtre de l’Odéon, mise en scène Luc Bondy,
avec Isabelle Huppert et Louis Garrel
Acte III, scène 12 – Dorante finit par avouer à Araminte qu’avec l’aide de Dubois, il a fait usage d’un stratagème pour la séduire. Il lui est devenu en effet impossible de le cacher plus longtemps à une femme qui vient de lui déclarer que, l’aimer, lui, eh bien, c’est ce qui lui arrive, à elle. « Et voilà pourtant ce qui m’arrive », lui a-t-elle dit.
Dorante était en train de réclamer à Araminte le portrait qu’il avait peint d’elle quand elle en est venue, soudain, à lui faire spontanément, comme si cela lui avait échappé, cette déclaration. Qu’Araminte lui dise non seulement qu’elle l’aime, mais surtout qu’elle précise, pour le lui dire, que c’est « ce qui lui arrive », cela vaut d’être souligné. Ainsi le moment de la déclaration d’amour est-il resitué par Marivaux à l’instant où se produit un événement de corps, en tant qu’il coïncide avec l’événement d’un dire. Le dire est alors lié au corps. Il y faut le corps assoupli d’Isabelle Huppert pour qu’une telle coïncidence soit perçue par l’auditeur. Comme ne manque pas de le lui faire remarquer Araminte, Dorante laisse alors éclater sa joie, alors que, jusque là, il s’était montré plutôt entravé par une sorte d’embarras à quoi le condamnait le silence auquel il se tenait.
Certes, acte II, scène 15, il avait lui-même avoué sa passion à Araminte quand elle lui avait révélé que le fameux portrait d’elle était tombé entre ses mains. Mais, à ce moment-là, Araminte, bien qu’elle y fût sensible, ne s’y était pas encore résolue – à ce qu’on l’aimât. Louis Garrel parvient à exprimer ce qui se passe pour un homme encombré par le poids de sa prudence, lorsqu’il ne sait pas quoi faire de son propre corps – rester debout, s’asseoir, écrire à une table, se laisser tomber par terre, etc.
Le parti pris de Luc Bondy de faire dire très vite le texte de Marivaux est fait pour surprendre l’auditeur et le tenir en haleine. Dorante veut séduire Araminte, mais c’est elle qui le prend de vitesse et le pousse à se déclarer d’abord. Le corps d’I. Huppert incarne cette vitesse dans la façon de dire le texte. À l’opposé, le silence retenu de L. Garrel le rend ainsi plus lent. Bref, I. Huppert donne le sentiment qu’elle court plus vite que L. Garrel. On ne sait, bien sûr, ce qu’il en est réellement.
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