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Avons-nous fait couple à Toulouse ?

Avons-nous fait couple à Toulouse ?

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Il fallait être optimiste pour organiser, au mois de juin, un samedi après-midi de travail. Pour annoncer cet événement lointain : en novembre, à Paris, les 45es Journées de l’École de la Cause freudienne : Faire couple Liaisons inconscientes.

Il fallait être audacieux pour prévoir un auditorium de cent vingt places alors que l’été s’est installé et que la ville fourmille de propositions festives, Toulouse en juin, ce sont les terrasses de café inondées de soleil, c’est Rio Loco, c’est la mer à une heure de route !

Pari engagé sous l’intitulé : « Faire couple avec l’institution ». Pari gagné : l’énoncé a été agalmatique. Une centaine de personnes se sont pressées pour assister à ce rendez-vous que Vanessa Sudreau, responsable du Bureau de ville de Toulouse, avait préparé avec une équipe animée de désir. Christiane Alberti, directrice de ces journées, et Catherine Lacaze-Paule, notre invitée, ont fait couple pour animer avec légèreté et rigueur la rencontre.

Partons de ceci : la solitude existe et le couple est une fiction[1]

Voilà un point vif qui va sous-tendre les exposés, puis se déployer avec l’intervention de C. Alberti pour ouvrir vers les Journées.

Pour faire couple avec l’institution, nous avions choisi une variété de partenaires. L’enjeu fut de soutenir les témoignages des intervenantes, d’établir une marge pour border les exposés et être enseignés par une articulation. C. Lacaze-Paule a réussi, excellemment, en trouvant pour chaque lieu la formule singulière. Aux intervenantes du Point Rencontre, elle dit : « Vous prêtez l’oreille ». Il ne s’agit pas de médiation mais de permettre un espace-temps pour qu’un parent, qui ne vit pas avec son enfant, fasse connaissance avec lui. Elle a fait valoir que pour cette situation la fusion est dangereuse ! Couple explosif. Pour une thérapeute familiale, elle interprète : « Vous avez renoncé à votre mission », c’est-à-dire à réparer le couple et ainsi elle peut entendre ce que dit cet homme de la certitude que « La mère c’est lui ». Couple intenable. À une intervenante de l’APIAF, structure qui accueille des femmes victimes de violences conjugales, elle adresse des félicitations : « Vous savez prendre le temps ». Et ainsi affleure l’impossible séparation des femmes avec leur Autre qu’elles aiment plus que tout. Et combien il est important de différencier déculpabiliser et désangoisser, de croire ces femmes tout en leur permettant d’engager leur responsabilité subjective. Couple infernal. Enfin de l’intervention d’une psychologue exerçant dans un foyer de vie, elle isole une formule du patient qui résume la situation : « Le tranchant de l’affaire ». Ainsi un couple existe, fait remarquer C. Alberti, dans la nuance d’être « un suivi amoureux » et non une relation amoureuse. Pour ce couple, une zone de travail s’est mise en place dans le transfert qui a pu s’élargir à d’autres liens. Surtout ce cas clinique enseigne que faire l’amour n’est pas obligatoire pour faire couple. Le respect de ce principe a constitué une orientation à laquelle l’institution s’est ralliée. Couple sensationnel.

Faire couple : aucun idéal dans ces situations, mais plutôt la mise en évidence de cette intuition mise au travail par l’École. Le désir de couple se présente comme symptôme fondamental d’une époque où les repères traditionnels ont vacillé. C. Alberti introduit ainsi son propos. Ce désir contemporain du couple s’indique comme la solution rêvée à la douleur d’exister, à la solitude fondamentale. Si la solitude c’est être seul sans lAutre, le couple c’est être seul pas sans lAutre. En réponse aux bouleversements sociétaux contemporains, à l’évolution des droits, à la révolution des sciences du vivant, le lien à deux est un repère. « À deux on est plus fort » disait très justement le patient suivi par l’intervenante du foyer de vie citée plus haut.

Liaisons inconscientes : dans le couple, non seulement aucun idéal, mais aussi une méconnaissance de ce qui nous attache à l’autre. Fondamentalement, on ne sait pas avec qui on fait couple parce qu’on ne sait pas avec quoi. D’où le « faire » qui pousse ici au travail d’élaboration, et là à se débrouiller d’un désaccord irréductible. S’appuyant sur une remarque du docteur J. Lacan[2], C. Alberti souligne la nécessaire abstention de tout conseil : « Ce n’est pas simplement parce que nous ignorons trop la vie du sujet […] que nous sommes portés à la réserve – c’est parce que la signification même du mariage est pour chacun de nous une question qui reste ouverte ». Plus ça change plus c’est la même chose, jusqu’au jour où la rencontre contingente fixe la répétition. Alors, le bonheur est au rendez- vous ? Si des liens de satisfaction se nouent, le couple a quelques chances de durer.

Travail, désaccord, symptômes : « le langage transformant toute chose en son contraire, on dira que [ce fut] aussi une fête ! »[3]

Au sortir de cette après-midi de travail, les klaxons de voitures enrubannées nous accueillent sur les boulevards : un mariage !

[1] Alberti C., Argument des 45es Journées de l’École de la Cause freudienne, http://www.fairecouple.fr/le-programme [2] Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les psychoses, Editions du Seuil 1981, p.152 [3] Cf. L’argument des J45, de C. Alberti, op. cit, que nous nous sommes autorisé à modifier. Enregistrer

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La psychanalyse sur le terrain !

« Qu’il [le psychanalyste] connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. »[1]

Accueillir, entendre, interpréter, tenter de nommer le nouveau qui se présente… telle est notre expérience de la diffusion des Journées depuis deux ans.

Le désir de savoir et de recherche dans lequel l’École nous entraine avec ces nouvelles Journées se nourrit de l’expérience, celle de la cure, et aussi bien des témoignages recueillis dans la cité, les institutions… dans nos réseaux personnels et professionnels.

Il s’agit donc de faire acte de présence dans les lieux où des sujets en souffrance sont accueillis afin d’observer la façon dont va résonner le thème et quelles sont les impasses rencontrées.

Par la diffusion se transmettent de nouveaux signifiants qui permettent de nommer, de cerner ce qui est rencontré, sous un angle nouveau. Dans certains lieux, certaines institutions, nous entendons les signifiants des Journées qui se propagent : Faire couple, liaisons inconscientes. Les questions sont posées, le voile est levé.

« Rencontre publique », « échanges », « conversation », tels sont les signifiants qui circulent sur les affiches des événements en Région cette année, liés à celui d’institution ; « surprises », « accueil », « liens », « histoires », « rencontres », « dialogue », les signifiants prélevés auprès de ceux qui diffusent sur le terrain. Au cours de ces rencontres, de nouveaux liens se nouent, des histoires s’écrivent, un désir de jouer les prolongations dans un lien de travail ensemble, un désir de savoir.

Les inventions quotidiennes dans les Régions vont dans le sens d’une attention soutenue au public au un par un, là où l’on diffusait habituellement de façon anonyme. Comme l’argument des Journées touche chacun, à partir de ce qui est là dans l’expérience humaine incompréhensible, indéchiffrable. Bref, la diffusion est adressée : pas de sujet collectif de l’énonciation, y compris par le canal de la diffusion par mail, un ton, un style propre à chacun, des messages adressés au un par un. Une collègue lit les textes du Blog et envoie à chaque personne qu’elle a rencontrée au cours de la diffusion, un texte qu’elle a choisi spécialement à son attention, assorti d’un petit commentaire.

Quand la diffusion se noue avec la rencontre des corps, s’inventent des liens qui eux-mêmes produisent d’autres liens…

Un savoir se dépose au fil des rencontres et nous vérifions chaque jour le nouage entre la diffusion et l’efficace d’une transmission par « les actions des Uns désirants » [2]

[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, p. 321. [2] Bosquin-Caroz P., « L’action lacanienne à l’ECF », La Lettre mensuelle numérique n° 328, mai 2014, p. 5.

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Les ondes de la diffusion

La préparation des prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne est en pleine effervescence partout en France. Les ACF se mobilisent pour toucher un public large, nouveau et nombreux. La diffusion se déploie dans un mouvement à plusieurs détentes dont les actions sont multiples. À la fois elle se veut étendue et globale – il s’agit d’occuper le terrain, de couvrir le mieux possible le territoire – mais elle n’opère qu’en nouant des rencontres, dans des échanges au un par un et non anonymes. Enquêtes et liaisons sont les deux signifiants proposés par Christiane Alberti pour orienter ce travail de diffusion. Les rencontres qui en découlent témoignent que la psychanalyse touche, intéresse, surprend, car l’orientation lacanienne, en phase avec l’époque, propose une lecture de ce qui déroute.

Des soirées-débats au cinéma, des conférences, des conversations autour d'un livre, des rencontres avec des artistes ont lieu dans tout le pays et en Belgique. Les rencontres publiques, inaugurées cette année dans les ACF pour préparer les Journées, invitent aussi au dialogue avec les professionnels travaillant en institution. Des psychanalystes conversent avec ces intervenants à partir de leur pratique, leurs questions, leurs impasses et s’orientent du réel en jeu pour un sujet en faisant résonner dans un débat le thème des prochaines Journées. "Faire couple avec l'institution à Toulouse, Fêtes et défaites du couple à Nantes, Le couple, la sexualité et l'institution à Bordeaux, Quand « faire couple » devient addiction, quel sevrage ? à Gap et bien d'autres évènements à venir encore sur ces thèmes mis au travail lors de ces rencontres publiques touchant un public renouvelé et nombreux.

Sur la toile, le site fairecouple.fr rayonne : des psychanalystes dialoguent avec des personnalités de champs divers et se laissent enseigner par les discours de l’époque. Ces interviews, ces confidences, ces articles, ces vidéos circulent aussi sur les réseaux sociaux et leur diffusion se propage à grande vitesse, ces témoignages produisant des effets de transmission. La rubrique Sur le terrain explore comment les professionnels des institutions sont touchés par le thème des Journées, se faisant ainsi partenaire de la diffusion de proximité. Cet axe est également un volet très important : des correspondants se déplacent sur les territoires des ACF pour distribuer les affiches et flyers et présenter l’argument des Journées dans des institutions, des tribunaux, des associations, dans des cinémas, des librairies, des théâtres, etc., partout où la question du couple intéresse la pratique. Les Journées et leur thème sont très bien accueillis et les surprises sont au rendez-vous lors de ces initiatives. Cette petite communauté en ébullition partage ses expériences, ses trouvailles, ses inventions dans une newsletter hebdomadaire et interne intitulée LINK 45. Ainsi la diffusion se fait joyeuse, légère, spontanée et le désir se propage au fil de ces rencontres. Une attention spéciale est donnée à l’activation des réseaux professionnels dont chacun dispose à partir du moment où il a des fonctions en institution ou à l’université. Parler des Journées autour de soi, faire suivre certains articles publiés sur le site à ses collègues, à ses amis, utiliser les réseaux sous toutes leurs formes est le tempo de la diffusion. Le désir, l'humour, l'audace sont au rendez-vous pour faire parler des Journées 45 dans toute la France. Le site, les rencontres publiques et les contacts de proximité tissent cette toile où les ondes de la diffusion se propagent. Celle-ci est donc une véritable expérience, une aventure dont on tire des conséquences, une action dont on mesure l'enjeu politique.

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Faire couple avec les réseaux

Les Journées « Faire couple » se tiendront en novembre, mais elles ont déjà commencé : à travers le Blog, le Journal, et aussi les initiatives locales sur le thème.

Les J44 « Être mère » ont été l’occasion de mettre en place l’expérimentation d’une e-commission nationale avec un e-collègue par ACF et par réseau du Champ freudien : CIEN, CEREDA, RI3. Avant le lancement de la campagne publique, la première tâche a été de faire la recension des moyens : sites-blogs, listes électroniques de diffusion, comptes Twitter, pages Facebook. Nous avons alors constaté une implantation conséquente, mais avec des disparités importantes. Ce recensement a eu deux effets majeurs. D’une part il a permis de se faire une idée concrète de la présence des ACF sur le web. D’autre part, le recensement s’est traduit instantanément par la création de pages Facebook, comptes Twitter, réveil et même restructuration de blogs, ainsi que par la création de listes de diffusions électroniques hébergées (de type yahoo ou google groupes), constitution de e-équipes locales et d’un cartel consacré à la présence sur la toile.

Il s’est avéré très précieux d’avoir dans chaque ACF un collègue intéressé par l’e-diffusion, qui en saisit l’enjeu, désirant en faire partager l’intérêt par les membres de son ACF, par le délégué régional.

Cette e-commission, dont le support est une liste de discussion électronique, a accueilli une mobilisation, un bouillonnement, une inventivité remarquables.

À l’issue des J44, l’expérimentation a été validée et décision fut prise de reconduire le dispositif pour les J45.

Nous y voici donc.

Nous avons défini un nouvel enjeu, une orientation pour les mois qui viennent. Si nous avons consolidé et étendu notre réseau il s’agit maintenant de le connecter à d’autres à partir notamment du compte Twitter et de la page Facebook des J45. Un soin particulier est mis dans ce sens dans les messages diffusés, et un dispositif de veille concernant les médias avec lesquels nous sommes susceptibles de nous connecter. L’équipe Twitter, composée de sept collègues, assure une veille continue. Les premiers résultats sont là, la connexion est en cours. Quant à la page Facebook, elle a déjà dépassé très largement les liens de celle des J44 qui elle-même avait fait progresser grandement notre impact.

Il est bien connu que chaque changement technique du recueil et de la diffusion de l’écrit a un effet sur la forme du message. Du volumen au codex, du livre copié à l’imprimerie et finalement à la numérisation, chaque mutation du support implique celle de la forme, mais aussi du contenu. Aujourd’hui s’y ajoutent les images, la vidéo, le son et les hyperliens.

Diffuser la psychanalyse aujourd’hui suppose de l’adapter aux nouveaux supports. C’est ce dont nous devons prendre la mesure, en acte, si nous voulons que le discours analytique rencontre son époque et que le psychanalyste se tienne à la hauteur de la tâche « qui lui revient en notre monde »[1].

[1] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.

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Couples de la fiction théâtrale, de la mode et du cinéma

L’Hebdo-Blog porte son regard sur des couples de la fiction théâtrale, de la mode et du cinéma. Pierre Naveau, à partir de la mise en scène, récente, par Luc Bondy des Fausses Confidences de Marivaux, vient saisir le moment de la déclaration d’amour entre les amants, « à l'instant où se produit un événement de corps ». Patrick Hollender relate ce qui, entre passion sans limite et sublimation, unit, désunit deux hommes : Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Cinzia Crosali souligne l’émergence du « corps parlant » dans l’histoire d’un couple à l’épreuve de la trahison, mise en scène par Philippe Garrel dans son dernier film L’ombre des femmes.

Des hommes et des femmes, aux prises avec les embrouilles du désir et du fantasme, qui s’évertuent à faire et défaire le couple.

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Le couple à l’épreuve de la trahison – L’ombre des femmes

De son dernier travail, L’ombre des femmes, le réalisateur Philippe Garrel dit qu’il s’agit d’un film féministe. En effet, le film célèbre les femmes et pose un regard limpide et implacable sur la manière dont une femme peut aimer, souffrir, être jalouse, être heureuse, dans un couple. L’histoire est presque banale : un couple, une double trahison, la séparation, les retrouvailles. Deux femmes et un homme dans un décor essentiel, en noir et blanc presque granuleux. Manon, magnifiquement interprétée par Clotilde Courau, et son mari Pierre (Stanislas Merhar) sont ensemble et vivent de petits boulots, en économie précaire : lui essaie de réaliser des documentaires, elle l’aide, dévouée et certaine qu’il est un grand artiste et qu’il se fera connaître. Pierre rencontre une autre jeune fille et Manon trouve un amant. Le canevas minimaliste est ainsi tracé mais le résultat est somptueux. Avec une puissance extraordinaire, les acteurs interprètent les variations infinitésimales des sentiments, émotions, colères de ce couple. Leurs corps parlent mais, surtout, ils expriment l’impossible à tout dire, et montrent dans les gestes, jusqu’aux contractions des articulations et des muscles, une parole en souffrance, qui a du mal à se déplier dans une chaîne fluide. Les mots de l’angoisse restent coincés dans les phrases interrompues, dans les regards interrogatifs, dans les gestes qui voudraient débloquer la parole, là où la voix bute et reste suspendue. Une façon magistrale, celle de P. Garrel, de mettre en scène le rapport sexuel qui n’existe pas et la colère des protagonistes devant cette évidence. Dans cette monstration esthétique de l’impossibilité pour la parole de se plier à la communication, les silences, aussi, composent avec la lumière du jeu d’acteurs et nous transmettent une inquiétude presque physique.

P. Garrel, dans une interview au Monde[1], explique son implication subjective dans ce film : « Je suis un être quitté », dit-il, « J’ai été quitté par mon père, par ma première femme, par ma deuxième femme... » et il nous confie qu’après la mort de son père il a fait « une analyse avec Moustapha Safouan, un lacanien historique»[2]. Et il nous éclaire sur sa façon d’écrire et comment ce film s’est construit pour lui : « Je lutte pour dévoiler des choses qui nous seraient communes et dont on a honte. [...] Le réalisateur conduit “à vue”. Et puis en disant une chose, il en dit une autre. C’est la trace de l’inconscient.» De la même façon, les partenaires de ce couple déchiré, en disant une chose, en disent une autre : ils ne veulent pas se quitter et ils se quittent, ils se languissent du manque de l’un pour l’autre, et restent éloignés pendant une année. Ils s’aiment et ils se trahissent. La trace de l’inconscient, bien sûr est là, mais surtout la trace de ce corps parlant qui, dans l’ébat amoureux, ne trouve pas la voix du bien-dire, s’il n’arrive pas à franchir le pas… de la honte au courage.

Ainsi dans ce film les personnages nous semblent mettre en pièces l’image spéculaire de leur corps, faussement unitaire et rassurante, pour transmettre l’émergence d’une jouissance dysharmonique au corps, et l’urgence du corps parlant, celui « qui parle en terme de pulsions »[3].

[1] http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2015/05/15/le-cine-haute-fidelite-de-philippe-garrel_4633911_766360.html [2] Ibid. [3] [Cf] Miller J.-A., « L'inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, Paris, Navarin, novembre 2015.

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TRAIT D’UNION

Correspondances inédites et incomplètes [1]

Bulletin ACF-Rhône-Alpes

Deux films parus à moins d’un an d’écart, ont traité de la vie du couple Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Patrick Hollender relate subtilement ce qui, entre passion sans limite et sublimation, unit, désunit ces deux hommes.

Le couple médiatique que formaient Yves Saint Laurent et Pierre Bergé s’est défait avec la disparition du couturier survenue le 1er juin 2008. Pourtant, ce dernier semble survivre au temps qui passe, à travers les vêtements de collection et les produits de luxe qui en portent la griffe internationale. Dans l’actualité cinématographique récente, deux films « biopics » consacrés à Yves Saint Laurent sont venus faire immersion dans l’intimité du couple. Si le film de Jalil Lespert intitulé Yves Saint Laurent (janvier 2014) rencontra l’adhésion de Pierre Bergé, il n’en fut pas de même pour celui de Bertrand Bonello (septembre 2014), Saint Laurent. Pierre Bergé refusa pour cette réalisation de prêter les collections Yves Saint Laurent, qualifiant le film de « méchant et homophobe », en contestant à ce dernier les outrances d’un scénario confiné à dévoiler une jouissance ségrégative et stigmatisante, dénuée de tout rapport de tendresse dans le couple.

Il en va tout autrement lorsque l’on ouvre les Lettres à Yves[2], toutes marquées par le style de la correspondance dont l’authenticité poignante nous indique que toutes ces lettres en souffrance ne sont jamais parvenues à son destinataire. Ces lettres datées relèvent du journal extime. « Absence présente. Comme un oxymoron »[3], elles creusent un détachement progressif de l’objet aimé venant en quelque sorte tamponner le trop de présence réelle sur fond d’absence. Le lien qui s’écrit est aussi celui de la désunion d’avec l’hubris d’une passion qui avait accordé le couple sur le trait d’une complétude au pygmalion. Cette passion consistait à s’instituer comme socle fondateur pour l’éclosion des métamorphoses de son compagnon. Le pygmalion se définit « d’être une personne amoureuse d’une autre qui la conseille et la façonne pour la conduire au succès »[4]. Il n’est pas absurde de penser que Pierre Bergé a révélé l’éclectisme des créations artistiques d’Yves Saint Laurent, en sublimant la haute couture à la hauteur d’un art aussi majeur que celui des grands Maîtres de la peinture, là où ce dernier se qualifiait de « peintre raté ». Eugénie Lemoine-Luccioni souligne les subtiles relations qui existent entre « peintre et couturier [qui] habillent l’un et l’autre le monde quand ils ne le créent pas »[5]. « Du coup de ciseaux ou du coup de crayon, l’un et l’autre engendrent une surface »[6] par « l’intervention décisive de la coupure »[7] comme effet du signifiant.

Pour Yves Saint Laurent, l’entaille du trait dans la découpe de la matière, soumise à la stricte exigence de l’ordonnancement des formes et de l’harmonie des couleurs, obéit au style qui en fit advenir le nom. Promu directeur artistique de la Maison Christian Dior qu’il considéra toujours comme son maître, Yves Saint Laurent supprima par la suite les traits d’union de son patronyme. Cette extraction du nom dans le processus de création, n’est pas sans rapport avec la fonction de l’agrafe. Sa prédilection sensible pour les « atmosphères perdues », qu’il rencontra dans les œuvres d’art, dessine les contours des immobiles et silencieux vestiges de l’inconscient dont il s’est fait le martyr. Laurence Bénaïm écrit : « Dans le regard d’Yves Saint Laurent, le passé est devenu présent, le modèle, une apparition [...] Les éblouissements de la lumière chez Matisse. Les prismes colorés de Mondrian. Le vertige des lignes chez Braque et Picasso. Les velours de Vélasquez [...] Tout semblait chez lui être aspiré par cet immortel appétit du beau »[8]. Le beau mélancolique fut son partenaire inscrit sur le trait d’union de la collection, dans la rencontre avec son compagnon.

[1] Extrait d’un article « Dans les lambeaux sanglants et noirs du satin », à paraître en 2016 dans un numéro spécial du bulletin de l’ACF-Rhône-Alpes : [2] Bergé P., Lettres à Yves, Paris, Gallimard, 2010. [3] Op. cit., p. 45. [4] Définition du Larousse. [5] Lemoine-Luccionni E., La robe – Essai psychanalytique sur le vêtement, Paris, Seuil, 1983, p. 85. [6] Ibid., p.16. [7] Ibid., p.15. [8] Bénaïm L., Yves Saint Laurent, Grasset & Fasquelle, Paris, 2002, p. 12.

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Tel est pris qui croyait prendre

Les fausses confidences de Marivaux au Théâtre de l’Odéon, mise en scène Luc Bondy,

avec Isabelle Huppert et Louis Garrel

Acte III, scène 12 – Dorante finit par avouer à Araminte qu’avec l’aide de Dubois, il a fait usage d’un stratagème pour la séduire. Il lui est devenu en effet impossible de le cacher plus longtemps à une femme qui vient de lui déclarer que, l’aimer, lui, eh bien, c’est ce qui lui arrive, à elle. « Et voilà pourtant ce qui m’arrive », lui a-t-elle dit.

Dorante était en train de réclamer à Araminte le portrait qu’il avait peint d’elle quand elle en est venue, soudain, à lui faire spontanément, comme si cela lui avait échappé, cette déclaration. Qu’Araminte lui dise non seulement qu’elle l’aime, mais surtout qu’elle précise, pour le lui dire, que c’est « ce qui lui arrive », cela vaut d’être souligné. Ainsi le moment de la déclaration d’amour est-il resitué par Marivaux à l’instant où se produit un événement de corps, en tant qu’il coïncide avec l’événement d’un dire. Le dire est alors lié au corps. Il y faut le corps assoupli d’Isabelle Huppert pour qu’une telle coïncidence soit perçue par l’auditeur. Comme ne manque pas de le lui faire remarquer Araminte, Dorante laisse alors éclater sa joie, alors que, jusque là, il s’était montré plutôt entravé par une sorte d’embarras à quoi le condamnait le silence auquel il se tenait.

Certes, acte II, scène 15, il avait lui-même avoué sa passion à Araminte quand elle lui avait révélé que le fameux portrait d’elle était tombé entre ses mains. Mais, à ce moment-là, Araminte, bien qu’elle y fût sensible, ne s’y était pas encore résolue – à ce qu’on l’aimât. Louis Garrel parvient à exprimer ce qui se passe pour un homme encombré par le poids de sa prudence, lorsqu’il ne sait pas quoi faire de son propre corps – rester debout, s’asseoir, écrire à une table, se laisser tomber par terre, etc.

Le parti pris de Luc Bondy de faire dire très vite le texte de Marivaux est fait pour surprendre l’auditeur et le tenir en haleine. Dorante veut séduire Araminte, mais c’est elle qui le prend de vitesse et le pousse à se déclarer d’abord. Le corps d’I. Huppert incarne cette vitesse dans la façon de dire le texte. À l’opposé, le silence retenu de L. Garrel le rend ainsi plus lent. Bref, I. Huppert donne le sentiment qu’elle court plus vite que L. Garrel. On ne sait, bien sûr, ce qu’il en est réellement.

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Victime d’un Autre insatisfaisant

Se désigner et prendre appui sur le signifiant « victime », c’est faire sien le mode de jouir modelé par la langue de l’Autre et loger « au dehors » la cause de l’urgence subjective. Ainsi la position de victime implique-t-elle le sacrifice du désir.

Adèle, 25 ans, consulte au CPCT lorsque la relation au père atteint un point d’insupportable. Elle se présente en victime d’un père insuffisant.

Le premier temps du traitement a permis de cerner son usage du signifiant « victime ». Adèle, objet d’un Autre insatisfaisant, déplie, dans une plainte teintée de déception, le scénario par lequel elle se victimise. La première précaution clinique a donc été de ne pas faire consister dans le transfert le de dont ce sujet hystérique se fait victime.

L’énoncé : « Je suis victime dans la mesure où je n’ai pas l’impression d’être la cause de… » marqua l’implication d’Adèle comme sujet responsable de la position qu’il adopte face à ce qui lui arrive. À la plainte que nous indiquait un sujet cédant sur son désir succède un je veux savoir.

Adèle livre un souvenir inaugural qu’elle situe à l’âge de six ans. Le père propose de l’accompagner au parc. La petite fille qui, « coquette », attend son père, se prépare. Il tarde à tenir sa promesse. Lorsqu’il vient la chercher, la petite fille pleure et refuse de le suivre. Elle reçoit une gifle. Il apparaît dans ce souvenir que ce qui intéresse Adèle, plus encore que le préjudice subi, c’est de destituer le père de sa fonction. Adèle témoigne d’une réponse insuffisante face à l’insupportable qu’elle rencontre alors. Nous faisons l’hypothèse que le récit de ce souvenir, dans lequel se cristallise sa position d’objet, fixe un phénomène de jouissance qui produit sa disparition comme sujet. Elle fera dès lors du signifiant « coquette » ce qui oriente la mascarade qu’elle offre à voir, et du signifiant « boxeur » ce qui la désigne dans sa relation à l’Autre comme « celui qui rend les coups ». Elle produira dans le traitement une nouvelle version qui s’accompagnera d’un allègement symptomatique. Ce temps du traitement a permis d’isoler et de déranger certaines identifications imaginaires.

Adèle découvre que sa vie amoureuse est une réponse adressée à la parole du père. En effet, c’est sur une parole du père : « tu aurais dû mourir dans le ventre de ta mère », qu’Adèle décida il y trois ans de s’installer avec un homme. Lorsqu’elle s’en sépare, de retour au domicile parental, elle attend anxieusement une phrase du père qui tomba effectivement : « ça ne m'étonne pas que P t’ait quittée, aucun homme ne pourrait rester avec toi ». Parole du père qu’il s’est agit, pour elle, de faire déconsister sans pour autant lui dévoiler son erreur. Adèle n’ignore plus sa part propre : l’idéal qu’elle nourrit côté face comporte une marque de jouissance côté pile.

Une séparation s’amorce. À partir de sa petite part, qu’elle a su repérer dans ce qui lui arrive, elle peut envisager de nouvelles solutions.

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Victime d’une mère

Être l’objet de l’Autre est la position première d’un sujet. Aussi est-il primordial, lorsqu’il est en position de victime, de repérer comment il se fait l’objet de l’Autre.

Lorsque Océane, vingt-huit ans, fait une demande de traitement au CPCT, elle énonce qu’elle a  «  fait de l’anorexie » et qu’elle pense à se tuer tout le temps. Elle vient donc pour que ça change. Ce traitement mettra en évidence que ce sujet se fait l’objet de l’Autre maternel.

S’enfermer dans son apéricube

Océane n’arrive plus à sortir de chez elle depuis deux ans. Souvent, elle reste dans l’obscurité, seule, et ses idées noires la figent durant des heures. Elle enclôt son existence dans l’espace étriqué de son appartement qu’elle appelle avec humour : « un apéricube ».

Enfermée dans une jouissance Une qui la coupe de l’autre, elle a interrompu sa formation pour « éviter trop de contacts avec les autres ».

Confrontée à la perte de son père à l’âge de treize ans, Océane n’a senti un « contrecoup » que deux ans après. Sa mère s’était effondrée et Océane l’avait soutenue. À partir de quinze/seize ans, elle fait plusieurs « T.S ». Invitée à en préciser les modalités, elle déplie alors la répétition d’un passage à l’acte qui réussit à échouer. Océane est fatiguée de vivre mais pas au point d’en finir. Nous ponctuons la quatrième séance sur ces mots : « C’est la vie qui vous tient, la mort ne veut pas de vous ! » Elle a ainsi trouvé une accroche au CPCT : ici elle peut dire ce qu’elle n’a jamais dit à personne.

Au fil des séances, Océane se raccroche peu à peu à la vie et aux autres. Mais une autre position de jouissance se fait jour : elle est victime de sa mère et de son inquiétude.

Être une soupape pour sa mère

Depuis qu’elle a quitté le domicile familial, Océane se voit imposer  un appel quotidien de sa mère. Celle-ci lui téléphone chaque jour, sans exception, à vingt heures précises. Freud repère que ce qui l’emporte chez certains sujets, « ce n’est pas la volonté de guérir, mais le besoin d’être malade »[1]. Et force est de constater que cette jeune femme ne peut se passer de cette mère ! Chaque semaine, elle peut dire qu’elle ne veut plus y aller mais elle y retourne. Un week-end, sa mère a insisté auprès d’elle pour qu’elle vienne parce qu’elle ne supporte plus la grand-mère. Océane énonce alors sa position d’objet maternel : elle sert de soupape à sa mère qui n’en peut plus de la grand-mère, comme elle a servi d’interprète entre sa mère et son frère quand il a interrompu ses études.

Le traitement au CPCT a permis à Océane de reprendre goût à la vie. Elle sort de son apéricube, elle renoue des liens qui s’étaient distendus. Ce sujet n’est pas tout à fait parvenu à se déloger de la position d’objet de l’Autre. Océane s’impose toujours de revenir chaque week-end auprès de sa mère et de lui répondre au téléphone tous les soirs. Cependant son existence est beaucoup moins mortifère ! Nous faisons alors l’hypothèse que l’amorce d’une séparation d’avec l’Autre maternel a produit un certain allègement du sujet.

[1] Freud S., « Le Moi et le Ça », Essais de psychanalyse, Payot, 2001, p. 293.

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