Les entretiens préliminaires concernent le moment inaugural de la rencontre entre un analyste et une personne, dont on ignore ce qu’elle veut. C’est pourquoi, « il faut laisser les gens parler, quand ils viennent demander quelque chose1 », écrit Lacan, puisque dès que l’on parle, on demande. L’important n’est pas le contenu de la demande, mais ce qui échappe totalement au sujet et le pousse à demander. Dès cette première rencontre, il s’agit ainsi pour l’analyste d’éprouver la possibilité de son acte. Conformément à la méthode freudienne, l’analyste effectue « un sondage2 » afin de décider si le sujet se prête ou non à une analyse.
Il convient pour cela de mesurer si le langage est apte à opérer sur le rapport du sujet à la vérité et à la pulsion, puisque, dans une psychanalyse : « il ne se passe rien qu’à partir du dire3 ». Car c’est dans la dimension du langage que s’exprime l’inconscient. Le langage, dit Lacan : « est une élucubration de savoir sur lalangue4 », celle-ci concerne l’être et son rapport à la satisfaction. Ce faisant, c’est par le langage, et via la parole, que l’analyste mesure les effets chez un sujet de lalangue sur le corps, les mots qui l’enchaînent, la satisfaction qui se déchaîne, le contraint à son insu et dont il dit vouloir être délivré. En somme, dans l’analyse, comme dans la vie, tout se joue dans le langage. On ne sort pas du langage ! Une fois « jeté » dedans, c’est l’« engrenage »5 ! Cependant, l’important n’est pas tellement que « le langage dise ou ne dise pas la vérité, c’est qu’il aide – tout court6 ». L’enjeu est donc qu’il opère des effets sur la jouissance du symptôme dont se plaint le sujet.
Car les entretiens préliminaires sont un aperçu sur le réel dont le sujet se défend. À travers ce qui est dit, les fictions, les histoires, les constructions qu’apportent d’emblée la personne, se manifeste la défense qui couvre la pulsion sous-jacente. Le langage est ainsi la défense par excellence par rapport à cette jouissance en excès qui parasite et entrave la vie de la personne venue consulter. Le langage est donc à la fois cause de la jouissance et défense contre celle-ci. Or, le « mode de parler » trahit le mode inaugural dont le sujet a consenti au langage et à la vie. Son humeur, ses embarras, ses doutes, son impuissance, ses désirs et bien d’autres manifestations de son existence transparaissent dans ses dires. Leur lecture permet dès les entretiens préliminaires un repérage structural ou, tout au moins, le repérage des coordonnées d’un déclenchement, de la présence d’une certitude, d’un vide ou d’un manque fondamental et d’établir l’orientation des registres (réel, symbolique et imaginaire), afin de connaître le cas et d’intervenir dans les suites à bon escient.
Mais, au-delà de ces premières rencontres que Freud considérait comme « un traitement d’essai7 », l’expression « entretien préliminaire » souligne sa distinction d’avec la consultation ou l’examen médical. Le terme préliminaire laisse entendre qu’un franchissement est attendu. Il concerne l’engagement dans le transfert. Cet engagement ne s’évalue pas à partir de la distinction entre le transfert fondé sur le sujet supposé savoir et celui basé sur la certitude de savoir adressée au sujet supposé s’intéresser, mais il se situe dans « la prise du symptôme dans le transfert8 ». Le symptôme devient symptôme analytique, incluant l’analyste comme étant celui qui sait le lire autrement. Si le symptôme analytique perdure tout au long de l’analyse, son ébauche dans les entretiens préliminaires signe la rencontre entre l’énigme du symptôme devenue, chez le sujet, désir de savoir et le désir de l’analyste, sur lesquels est fondée l’expérience analytique.
Caroline Doucet
[1] Lacan J., « Excursus », Lacan in Italia. 1953-1978. Milan, La Salamandra, 1978, p. 95-96.
[2] Freud S., « Le début du traitement », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, 1985, p. 81.
[3] Lacan J., « Intervention sur l’exposé de C. Conté : “Sur le mode de présence des pulsions partielles dans la cure” », Lettres de l’École freudienne de Paris, n°11, 1973, p. 22.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 127.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 353.
[6] Lacan J., « Le Phénomène lacanien », texte établi par J.-A. Miller, Nice, Section clinique de Nice, 2011, p. 18.
[7] Freud S., « Le début du traitement », op. cit., p. 81.
[8] Wachsberger H., « Fonction des entretiens préliminaires », Ornicar ?, n°33, été 1985, p. 16.