La prochaine Question d’École, organisée le samedi 3 février par l’École de la Cause freudienne, consacre son après-midi aux Entretiens préliminaires1. Ouvrons quelques perspectives.
Lacan, dans une phrase souvent citée, rappelle que les « points de raccord2 », pour une École de psychanalyse et son psychanalyste (AE), « sont connus : c’est le début et la fin de la psychanalyse, comme aux échecs. Par chance, ce sont les plus exemplaires pour sa structure. » En parlant du jeu d’échecs, Lacan retrouve la référence de Freud qui écrivait, en 1913 dans « Le début du traitement » : « Celui qui tente d’apprendre dans des livres le noble jeu des échecs ne tarde pas à découvrir que, seules, les manœuvres du début et de la fin permettent de donner de ce jeu une description schématique complète3 ».
Ce nouage entre l’entrée et la sortie est essentiel. C’est le contraire d’un empirisme clinique qui propose de démarrer et de voir ensuite ce qu’il adviendra. C’est affirmer, par contre, qu’entrer présuppose que l’on sache comment on sort. L’entrée anticipe la sortie ; la sortie ordonne rétroactivement l’entrée ( « l’après-coup, effet de temps4 » ). Il faut donc à l’analyste, dans ces entretiens préliminaires ouvrant à la « pratique de la psychanalyse », qu’il sache articuler « la terminaison, l’objet, le but même5 » alors que tout ce qui se promet sous le terme de psychothérapie les maintient inarticulés, signant une sérieuse dégradation et de la doctrine et de l’exercice clinique.
Mais quelle est cette « chance » dont parle Lacan pour l’entrée ? Un mot l’indexe : la « rencontre ». Qu’est-ce qui se « rencontre » par la grâce du transfert ? Y répondre, ici, serait boucher la question. C’est plutôt la référence à la « rencontre » qui doit, avant d’en nommer les effets et les formes multiples qui se découvriront au cours de la cure, être isolée. Le trésor de la langue française, qui la définit banalement comme l’action d’aller vers quelqu’un qui vient, sait sous la plume du poète la décrire bonne ou mauvaise : Corneille peut écrire dans Le Menteur : Je ne pouvais avoir rencontre plus heureuse, et dans son Œdipe : Tu fis pour ton malheur ma rencontre en Phocide6.
C’est dans son séminaire de 1964 que Lacan donne à la rencontre cette radicalité issue de la psychanalyse nouvellement redéfinie : la rencontre est toujours rencontre avec un réel7, soit la tuché. Personne ne fait jamais ami-ami avec la rencontre. Même avec la bonne et heureuse rencontre ? Mais oui ! La raison tient, c’est la découverte de Freud, à ce que l’inconscient n’écrit pas. Jacques-Alain Miller y insiste : « Le réel que Lacan a cerné pour la psychanalyse tient à la contingence. […] Aucune fondation ne résiste à cet acide de la contingence, conséquence du non-rapport sexuel […]. C’est bien parce que l’on ne constate que contingence dans le rapport entre les sexes que l’on peut en inférer qu’il n’y a pas de nécessité à l’œuvre. Rien ne cesse de s’écrire entre les sexes, et c’est pour cela que nous sommes voués au régime de la rencontre8. »
À l’entrée (au seuil, limen), avant le oui ou non, le pari, la mise trouvent ici leurs enjeux : consentir ou pas à la rencontre contingente ? Les entretiens préliminaires, loin d’être une première prise de contact, s’avèrent décisifs puisque le réel y est irrémédiablement actif.
Hervé Castanet
[1] La matinée de Question d’École est consacrée au contrôle. Voir l’Hebdo-Blog 323.
[2] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 246.
[3] Freud S., « Le début du traitement », La technique psychanalytique, Paris, Presses universitaires de France, 1981, p. 80.
[4] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 … », op. cit., p. 246.
[5] Ibid., p. 245.
[6] Voir Le Littré au mot « rencontre ».
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 53-62.
[8] Miller J.-A., « À la merci de la contingence », La lettre mensuelle n°270, juillet-août 2008, p. 7.