L’expression « entretiens préliminaires » a longtemps été une évidence. Avant de commencer une analyse – Freud, en 1913, dans « Le début du traitement » y insistait en parlant de « traitement d’essai » –, il faut quelques entretiens et un peu de temps pour que le psychanalyste juge l’entrée possible ou non dans le dispositif de la cure. En a-t-il toujours été ainsi dans le mouvement analytique ?
Cette recommandation de Freud figure dans l’article « Zur Einleitung der Behandlung » publié en deux parties dans les deux premiers numéros de la revue de l’Association internationale de psychanalyse, laquelle fut créée trois ans plus tôt au congrès de Nuremberg. Nous sommes au début d’une expérience institutionnelle et c’est dans ce contexte que Freud délivre des conseils aux analystes praticiens en insistant sur le fait que la technique analytique ne saurait être l’application mécanique de principes gravés dans le marbre, contrairement à la fiction des standards mise en place par l’IPA une décennie plus tard. Il convient en outre de rappeler qu’à cette époque, la question du diagnostic et des contre-indications était au premier plan. Freud précise que ne connaissant pas les patients qui s’adressent à lui, il a pris l’habitude de les recevoir de façon provisoire. Il pratique un sondage initial dont le but est de protéger le patient d’un échec annoncé. Toutefois, les entretiens préliminaires sont déjà le commencement d’une analyse, il ne s’agit pas d’une temporalité extérieure à l’analyse : la règle de l’association libre s’applique au traitement à l’essai.
Ces entretiens ne sont pas un examen au sens scolaire. L’enjeu de la cure à venir y est engagé. Il y a une mise du côté du patient et du côté de l’analyste. Dans la « Proposition de 1967… », Lacan, reprenant une référence de Freud au jeu d’échecs, note que les « points de raccord » d’une École touche « au début et à la fin de la psychanalyse »1. Lacan parle même de « rencontre ». Comment, selon vous, faut-il l’entendre ?
La partie qui se joue entre l’analysant et l’analyste commence par une rencontre des corps en présence2, elle se poursuit par un dispositif où le regard de l’analyste se trouve retranché, lorsque l’analysant est allongé sur le divan. Le moment où ce dernier est invité à s’allonger peut être interprété comme un assentiment de l’analyste à l’expérience analytique. L’analysant se demande ce qui, dans sa parole, a suscité ce consentement : qu’ai-je dit pour que l’analyste me propose de m’allonger ? C’est souvent à ce moment qu’un analyste quelconque devient « mon » analyste.
La fin de la partie est centrée sur la cession d’un certain objet de la pulsion que Lacan désigne comme étant l’objet a. Cela fait saisir que le recours à l’outil numérique en psychanalyse ne permet pas un traitement suffisant de la jouissance pulsionnelle en jeu.
Une autre question est celle des séances en face-à-face, quand le dispositif initial des entretiens préliminaires s’applique à l’analyse. S’il s’agit bien d’une analyse authentique, peut-on soutenir que le fantasme s’y construit autrement ? Ou que la non-soustraction du regard sert au nouveau nouage des dimensions R.S.I ? Vaste question, n’est-ce pas ?
En 2022, au congrès de la NLS à Lausanne, Jacques-Alain Miller se demande si, aujourd’hui, les entretiens préliminaires ne seraient pas tombés en désuétude. Il en fait une « critique générale » et ajoute : « je me suis aperçu qu’on oubliait, dans la pratique lacanienne, les séances préliminaires ». Pour contrer cette pente, les « séances préliminaires doivent être remises à l’ordre du jour » dans toutes les Écoles de l’AMP, proposait-il. L’après-midi de Question d’École, le 3 février, est-il une façon de tenir compte de cette orientation politique pour la clinique ?
Il va s’agir de saisir pourquoi Lacan affirme que sans les entretiens préliminaires, « c’est foutu3 ». Comme aussi, de nous reporter aux articulations centrales de Jacques-Alain Miller portant sur la pré-interprétation de ses symptômes chez le parlêtre qui s’adresse au psychanalyste4. De là dépend en effet l’émergence du sujet supposé savoir, donc d’un transfert distinct de la demande d’analyse. Les entretiens préliminaires viseraient à vérifier que le symptôme a bien une valeur de réel chez l’analysant.
Alors oui, le refoulement des entretiens préliminaires que vous évoquez sera assurément interrogé et traité lors de Question d’École. De quoi les psychanalystes se défendent-ils encore ? Ce sera passionnant de tenter d’y répondre !
Questions posées par Hervé Castanet
[1] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, Paris, Seuil, 2011, p.228 : « C’est justement parce que ça part de cette rencontre des corps qu’il n’en sera plus question à partir du moment où on entre dans le discours analytique. »
[3] Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », texte établi par J.-A. Miller, La Cause du désir, n° 95, avril 2017, p. 9.
[4] Miller J.-A., « C.S.T », Ornicar ?, n° 29, été 1984, p. 144-145.