Lacan met en avant le nouage borroméen du réel avec le symbolique et l’imaginaire, nouage qui fait tenir le sujet et sa singularité dans la réalité du monde.
Qu’est-il arrivé à cette dame d’une cinquantaine d’année, à la singularité exacerbée, qui a pu mener jusqu’à sa retraite sa vie professionnelle de professeur des écoles, pour être hospitalisée ?
Pour les temps forts de sa vie : elle a divorcé depuis un certain temps du père de ses deux fils, quand il a choisi de privilégier son intérêt pour le paranormal et rejoindre un groupe d’adeptes.
Fille unique, elle raconte sa relation fusionnelle avec sa mère, que son père trompait. Elle a fait le choix d’être professeur des écoles malgré le désir de ses parents qu’elle intègre une préparation aux grandes écoles.
Sa mère est décédée accidentellement peu de temps avant que notre patiente accouche d’un de ses fils. Privée de l’étayage maternel, elle a dû être hospitalisée dans les suites d’une dépression du post-partum dont elle s’est remise assez vite.
Elle nous fait part de son obsession de perdre sa maison qu’elle habite avec un compagnon de longue date qui y séjourne avec elle. Pourquoi cette peur, ce mentisme, cette conviction inentamable et quasi délirante qui ne la quittent plus jour comme nuit et lui empoisonnent sa vie 24h sur 24 ?
Elle nous raconte la SCI que son père lui a proposée et qu’elle a signée pour un bien qu’il a acheté et partage depuis peu avec sa deuxième femme dont il veut adopter la fille. Il voudrait leur donner des parts dans la SCI.
Elle s’y refuse, entame, aidée d’un avocat, des procédures judiciaires. Elle dit avoir des impayés qui vont, elle en est persuadée, la contraindre à vendre sa maison pour les apurer.
Si, jusqu’à maintenant, son vécu des choses s’accordait avec les lectures que tout un chacun, en l’occurrence ses proches, pouvait en avoir, ce n’est plus le cas.
Nous ne sommes plus dans le rationnel mais dans le réel que les lois juridiques qu’elle convoque, ne permettent pas de dialectiser. Ce qui fait réel pour elle tourne autour de cette intrusion à cause de son père, de cette autre mère et sa fille. Le couple parental dans l’univers duquel elle s’était construite, a volé en éclat.
Comment continue-t-elle à chercher un recours ? Les lois juridiques ne lui permettent pas de dialectiser sur ce qui fait intrusion pour elle. Elle demande à ses fils de la décharger de ces procédures judiciaires qu’elle a mise en route et avec lesquelles ils sont d’accord pour préserver leur héritage. Elle irait même jusqu’à demander une prise en charge complète à l’hôpital, pour recommencer dans un contexte régressif d’infans, à « re-grandir » avec cette nouvelle donne du couple parental, son père, une belle-mère et une demi-soeur.
Ce sujet, mal arrimé au symbolique, a à faire à un réel qui lui fait assimiler les difficultés de cette SCI à un vécu subjectif d’effondrement possible » Elle le transpose dans la réalité, en une crainte de perdre sa maison pour payer ses dettes. Le nouage Réel Symbolique est mal fait, avec un débordement imaginaire obsédant d’une dette à payer.
Alors, quelles solutions apporter ?
Tout d’abord pour apaiser ses angoisses, l’adresser à un psychiatre pour une prescription. Tant que ce vécu d’anéantissement persiste de façon aussi prégnante, cette patiente n’a plus la liberté de pouvoir réfléchir et subjectiver quoi que ce soit.
Puis, avec elle, travailler à la décentrer de son vécu d’effondrement qu’elle relie à cette SCI. Il faut avoir en tête que cette SCI est quelque chose de concret qui arrime cette patiente à la réalité. Cette SCI représente pour elle un rempart contre la perte de réalité qui sous-tend sa construction-symptôme. Elle la met en avant, à nous de la respecter. Cette construction-symptôme, premier barrage contre l’envahissement psychotique, est néanmoins fragilisante. Chaque fois que son avocat la sollicite au sujet de cette SCI, la patiente déprime. Il lui est proposé de confier tout ce qui concerne la gestion de cette SCI à ses enfants qui ne sont pas eux, gênés par la subjectivité qu’elle y a inconsciemment associée. Elle l’a accepté.
Elle s’est construite autour d’une identification à sa mère versant positif. C’est autour des ressources qu’elle a su mobiliser en son temps, qu’il ait fait appel. Notre patiente n’a pas été submergée par son désamour à son mari. Elle l’a quitté et divorcé de lui pour un homme plus sécurisant.
Mais elle pense au fond d’elle-même que sa mère s’est suicidée et n’est pas décédée accidentellement d’une chute. Il y a nécessité vitale qu’elle ne s’identifie pas à ce côté de sa mère qui, en mourant, a laissé la place aux compagnes de son mari volage, et à présent à une belle-mère et une demi-soeur par alliance. L’écarter de cette jalousie morbide qu’elle ressent, apaiser cette haine à l’endroit de sa belle-mère, sont cruciaux.
Elle a pris le chemin de la loi en faisant appel de la décision de justice quand à cette adoption, et refuse d’intégrer sa belle mère et sa possible demi-soeur dans la SCI. Même si elle perd les procès, ce ne sera pas de son fait. Mais c’est au prix d’un vécu de lâcher prise qu’elle traduit dans des tentatives de suicide à minima. Elle lutte pour ne pas laisser sa demi-soeur lui prendre sa place.
Elle se défend contre une autre identification imaginaire et pour le coup délétère, à une mère qui par sa mort a cédé sur son désir. Notre patiente toujours dans une relation fusionnelle identificatoire à sa mère, reprend à son compte le combat qu’elle prête à sa mère, contre les intérêts du père.
Ce « contre les intérêts du père », fait butée contre son vécu d’effondrement. Il lui permet de restaurer l’image de sa mère et sa fonction, ternies par le ravalement qui opérait dans son imaginaire. Ce « contre les intérêts du père » se substitue à l’identification à une mère dont elle a réparé la fonction, et à sa mère.
Notre patiente accède à l’autre et ses lois de façon apaisée, pour pacifier avec les autres de son entourage, sans plus se soucier de l’étayage maternel dont elle arrive maintenant à se passer.