Lilia Mahjoub attire l’attention sur les phrases de l’enfance qui sont pour le sujet, sans qu’il le sache, à l’œuvre dans son destin.
C’est ce que découvre Adrienne, jeune cadre, lors des entretiens préliminaires. Une phrase résonne pour elle comme marquante ; elle s’attache à en saisir les conséquences. Cernons chez ce sujet comment elle s’est révélée avoir pris une valeur d’oracle.
Avoir entendu une amie en quête d’une relation durable parler de son analyse et se plaindre des hommes qui ne s’engagent pas, fait soudain interprétation. Dès lors, Adrienne s’adresse elle-même à un analyste, elle veut tenter l’expérience parce qu’elle souffre d’un « blocage qui l’empêche de construire dans la relation amoureuse ». Avec les hommes, amour et désir ne s’accordent pas : « Au début, ça va, mais après la phase de séduction, il n’y a plus rien au niveau du désir malgré les sentiments, ça me terrifie de construire. Je me demande : est-ce que je vais être à la hauteur ? » Elle ne cesse de penser à sa dernière relation amoureuse qui a duré trois ans (la plus longue) : « Avec lui, énonce-t-elle, sur le papier, ça aurait dû être fabuleux, mais je n’ai pas fait ce qu’il aurait fallu. » En séance, elle ressasse obsessionnellement ses manquements et ses regrets. À la suite d’un premier échec amoureux, elle multipliera « les conquêtes » pendant dix ans ; « ça ne [la] dérangeait pas ». Ça lui plaisait.
Or, depuis que son ex-compagnon lui a dit « à force de légèreté, on se salit », elle culpabilise d’avoir agi ainsi et en a honte. Cette phrase l’a percutée, elle l’interprète comme celle qui l’a véritablement conduite en analyse. « Serait-ce une revanche prise vis-à-vis des hommes ? », interroge-t-elle. Le transfert s’instaure, elle veut savoir la cause inconsciente de son désir « bloqué » ou « retenu » à l’égard de l’homme aimé.
À l’aveu d’impuissance, répondent les associations. Les signifiants isolés dévoilent l’agressivité à l’égard d’un père tant aimé. Aussi, se souvient-elle : « Il nous a toujours dit de prendre du temps pour s’installer avec quelqu’un, et moi je l’ai pris à la lettre ! » Surprise de son dire, elle ponctue par un rire gêné. Silence. Elle prend conscience du poids et de la marque laissée par cette phrase à laquelle elle a donné valeur d’oracle. L’analyste arrête la séance.
La cure lui aura permis de s’en affranchir.
Dominique Pasco