Il est maintenant répandu que les rêves, lapsus, actes manqués et autres formations de l’inconscient ont une signification. C’est passé dans la langue commune. Comment expliquer alors l’atmosphère de déni qui porte aujourd’hui sur l’inconscient ? Un de ses avatars, qui parvient jusqu’aux cabinets des analystes, est fondé sur un Je suis qui ne veut souffrir aucune équivoque : Je suis ce que je dis – où l’énonciation est ravalée sous l’énoncé.
La psychanalyse fait pourtant valoir – et repose même sur – l’écart entre le Je de l’énoncé et celui de l’énonciation, comme le souligne Jacques-Alain Miller dans l’extrait de « Double Je » que L’Hebdo-Blog publie dans ce numéro. Le sujet ne sait pas ce qu’il dit : « La condition pour distinguer le sujet de l’énonciation est qu’il puisse prendre de la distance vis-à-vis de ce que lui-même énonce. C’est le sujet qui peut noter qu’il a dit quelque chose, mais qu’il ne sait pas pourquoi il l’a dit, ou qu’il n’y croit pas, ou bien qui sait que c’est une plaisanterie ou pense le contraire de ce qu’il dit.1 »
Dès lors, l’articulation autant que l’écart entre énoncé et énonciation sont des enjeux pour la psychanalyse, qui met l’accent et parie sur l’énonciation – ce que défendent les textes de ce numéro. Il en va d’une éthique, celle des conséquences. Or, pour tenir compte des conséquences, il est important de mesurer qu’il y a un au-delà de ce qui se présente comme intention.
Romain Aubé
[1] Miller J.-A., « Santé mentale et ordre public », Mental, n°3, janvier 1997, p. 19.