Les hommes ont toujours fait usage de drogues – c’est un fait anthropologique – que ce soit pour accéder au divin, rechercher la vérité, éprouver des sensations intenses, ou transgresser l’ordre établi. Aujourd’hui, l’addiction recouvre une extension plus large que les seules pratiques de consommation de substances toxiques car elle inclut désormais les comportements addictifs liés à la technologie, aux jeux, aux réseaux sociaux, au sexe, au sport, etc. L’addiction semble s’infiltrer dans tous les aspects de la vie quotidienne et constitue une véritable question clinique. Si la relation des sujets « addicts » à leur objet se présente comme nécessaire, inévitable, compulsive, les addictions sont à particulariser, car elles ne s’inscrivent pas dans la même dynamique d’excès. À titre d’exemple, selon Lacan, la jouissance toxicomane devient pathologique lorsqu’elle est préférée à la relation sexuelle, au partenaire de l’amour, à tout, recherchée à n’importe quel prix, même au prix du crime. Ainsi la rupture du « mariage avec le petit-pipi1 » laisse le sujet en proie à une jouissance addictive, solitaire, coupée radicalement de l’Autre et de son désir.
Quelles sont les circonstances qui peuvent conduire certains sujets à cette dépendance, à cette jouissance impliquée dans l’excès ? En 1946, Lacan annonçait une montée en force du surmoi, qu’il allait définir plus tard en le distinguant de l’idéal du moi par l’impératif de jouissance : « Jouis ! ». Cette époque marque également la généralisation du terme « addiction », qui symbolise la montée en puissance de la jouissance au détriment du désir. Le pousse-à-la-consommation contemporain, effet du discours capitaliste qui promet à chacun l’objet qui comblera son manque, fait justement s’évanouir l’incomplétude, le manque-à-être constitutif du sujet où trouvait à s’enraciner le désir.
L’addiction généralisée témoignerait-elle de la voracité de la pulsion et du triomphe de ce que Lacan a appelé l’objet a, sur l’Idéal qui pouvait servir de boussole à une civilisation ?
Cécile Favreau de Rivals
[1] Voir la citation de Lacan dans ce numéro d’Hebdo–blog