Au CERA1, la formation s’oriente de la question suivante : à partir de quoi se forme-t-on quand on travaille avec les autistes ?
Le récent « plan autisme », autrement nommé « Stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, Dys, TDAH, TDI », inclut l’autisme dans la catégorie des troubles du neurodéveloppement (TND), considérant de façon univoque que l’autisme est un trouble du développement des fonctions cognitives dont la causalité est neurologique.
Une des ambitions de ce plan est une « montée en compétence des professionnels » sur la base « de connaissances scientifiquement valides » et, « Au-delà de la formation des professionnels, l’enjeu de formation sera décliné vers les familles et les personnes en déployant : des programmes d’éducation thérapeutique pour les personnes concernées par l’autisme, le TDAH et le TDI ; des programmes de guidance parentale scientifiquement valides.2 »
L’énigme de la rencontre : une boussole ?
La qualification « scientifiquement valide », répétée dans le texte officiel, est censée agir telle une garantie d’être dans le vrai – son usage coupant court à une possible remise en cause des connaissances ayant reçu cette validation. Dans cette perspective se dessine l’idée qu’un savoir scientifique sera la réponse à l’énigme et à l’angoisse de la rencontre avec ce réel de l’autisme.
Car sur le terrain, c’est souvent l’énigme que rencontrent les familles et les professionnels. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Pourquoi hurle-t-il sans cesse ? Pourquoi ne veut-il jamais entrer dans la pièce ? Or, paradoxalement, c’est ne pas tenir compte des autistes eux-mêmes que de penser pouvoir travailler avec ces sujets à partir du sentiment d’être aguerri par des « connaissances scientifiquement valides ». Les témoignages de parents et de professionnels démontrent l’inverse : il faut savoir se déloger d’une position de « sachant » pour envisager un travail avec ces sujets à propos desquels Leo Kanner avait d’emblée noté qu’ils sont « anxieux et tendus face aux personnes3 ». Montrer que l’on sait, demander, exiger, vouloir… n’ont pour effet que de faire augmenter l’angoisse.
Programme de soins versus outils de travail
Le Centre d’études et de recherches sur l’autisme s’enseigne de ces témoignages et de la clinique. Une fois par mois au CERA ont lieu des tables rondes présentant des études de cas cliniques et des travaux de recherche en psychanalyse. Cette formation propose des élaborations théoriques qui éclairent et orientent la pratique sans la formaliser, sans en faire un programme à appliquer. C’est là un point essentiel. La psychanalyse, l’enseignement de Lacan et celui de Jacques-Alain Miller ne permettent pas d’élaborer quelque protocole de soins qui soit, mais, en revanche, ils apportent de précieux concepts qui constituent de véritables « outils de travail ».
Composer avec le réel : l’affaire de tout un chacun
Les démonstrations cliniques au CERA mettent en évidence que dans la pratique avec les autistes, le travail s’engage avec la part du sujet qui cherche ses solutions, seul, avant même de croiser des professionnels. Et il trouve souvent ! Il trouve des objets qui le rassurent, des façons de s’exprimer, des manières d’organiser le monde. Ses trouvailles sont parfois très discrètes ou bien trop envahissantes, mais c’est à partir d’elles aussi que le clinicien se forme.
Cette troisième Journée d’étude du CERA va contribuer à poursuivre l’élaboration théorique qui aide à éclairer la pratique quand on travaille auprès d’autistes. L’autisme pour tous ? Comment entendre cette question ? L’intérêt pour l’autisme comme « façon d’être » ou « mode de vie », comme on dit aujourd’hui, permet d’approcher une question essentielle en psychanalyse, celle avec laquelle tout sujet doit composer, qui ne relève ni du biologique ni de la réalité – ce que Lacan a nommé « le réel ».
Isabelle Magne
[1] Centre d’études et de recherches sur l’autisme, créé au sein de l’École de la Cause freudienne, et organisant chaque année un enseignement mensuel ouvert, en présence à Paris ou en visioconférence, disponible sur internet.
[2] Stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, Dys, TDAH, TDI, novembre 2023, p. 17, disponible sur internet.
[3] Kanner L., « Autistic Disturbances of Affective Contact », Nervous Child, 1943, vol. II, p. 217-250, trad. Spécial Kanner, Le Bulletin de l’arapi, juin 1995, p. 26, disponible sur internet.