Trois entrées dans la logique du fantasme
Le Séminaire La Logique du fantasme [1] va paraître dans quelques jours. Et il est urgent d’en dire quelque chose. Sans l’avoir lu dans sa version définitive, travail d’une lecture à la lettre que poursuit Jacques-Alain Miller, je relève, ne serait-ce que dans son titre, l’orientation décisive que prend Lacan dans l’élaboration de ce concept.
Trois points s’en extraient :
- La logique.
Celle-ci est au premier plan et court tout au long du séminaire. Il en marque ce qui donne à l’enseignement de Lacan la portée d’un travail incessant de logification de l’expérience, allant de la mise en ordre de la logique du signifiant à celle du fantasme. Depuis son article paru dans les Écrits, « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée » [2], la psychanalyse se fonde sur une succession de moments dont l’apologue des trois prisonniers fait modèle. L’entrée et la fin de l’analyse exigent de passer par un certain trajet dont la répétition et la hâte sont les ressorts. Le fantasme renvoie à la même logique qui consiste à apercevoir la réduction du fantasme : « un fantasme est une phrase, du modèle d’un enfant est battu » [3], dit Lacan dans l’article du même nom paru dans les Autres écrits. Cette logique pourra se lire grâce au graphe du désir qui illustre comment situer la place de l’Autre et celle du fantasme, soit, de S(Ⱥ) à l’objet a du fantasme. La formule du fantasme ($◊a) rend compte d’une connexion entre le sujet divisé et l’objet. Cet objet a, dit Lacan, a un statut particulier dont le rapport logique marque qu’il n’est pas qu’imaginaire mais qu’il prend sa racine dans le corps. Dès lors, les objets que sont le sein, la scybale, le regard et la voix, pièces détachables mais reliées au corps, marquent leur valeur d’objet plus-de-jouir.
- Fondamental
Ce terme qualifiant un fantasme singulier, se trouve déjà dans le texte des Écrits, « La direction de la cure », lorsque Lacan indique que « ces objets partiels […], le sujet les gagne ou les perd […], mais surtout il est ces objets, selon la place où ils fonctionnent dans son fantasme fondamental » [4]. On le trouve aussi dans le chapitre XX du Séminaire Le Désir et son interprétation, dans lequel Lacan présente le fantasme fondamental comme la vraie relation d’objet, et précise J.-A. Miller, « il s’écrit avec les deux termes de la formule et la relation à double entrée qui les lie. » [5] Le fantasme est à la fois ce qui soutient le désir du sujet et fait écran au réel qui ne peut pas se dire. Une fois traversé, il agit comme une faille qui découvre ce qu’il recouvrait d’impossible.
- L’écriture
Qu’écrit donc la formule du fantasme ? Il existe entre la fonction de l’écriture et la logique un lien étroit. « Ce n’est pas la même chose, après que nous avons dit quelque chose, de l’écrire ou bien d’écrire qu’on dit. » [6] Qu’est-ce qui en fait la différence ? Sur le graphe du désir, Lacan en donne la réponse : le S(Ⱥ) constitue un des points fondamentaux où « s’articule toute la dialectique du désir en tant qu’elle se creuse de l’intervalle entre l’énoncé et l’énonciation. » [7] Il en fera le point décisif de la fin de l’analyse : « Le désir du psychanalyste, c’est son énonciation » [8]. Le fantasme fait fonction d’axiome du fait de sa constance et « la place qu’il tient pour le sujet […] c’est la place du réel. » [9] D’où s’écrit le fait que la traversée du fantasme ne s’obtient que par la chute de l’objet a, provoquant alors la destitution du sujet.
Hélène Bonnaud
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[1]Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien, 2023.
[2] Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 197.
[3] Lacan J., « La logique du fantasme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 326.
[4] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, op. cit., p. 614.
[5] Miller J.-A., « Une introduction à la lecture du Séminaire VI, Le désir et son interprétation », La Cause du désir n°86, mars 2014, p. 61-76. Consultable à https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2014-1-page-61.htm
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, op. cit., p. 30.
[7] Ibid., p. 136.
[8] Lacan J., « Proposition sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, op. cit., p. 251.
[9] Lacan J., « La logique du fantasme », Autres écrits, op. cit., p. 326.