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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 308

Une lecture indispensable des addictions

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Une lecture des addictions se déduit de la célèbre et maintes fois commentée définition que donne Lacan de la drogue, « il n’y a aucune autre définition de la drogue que celle-ci : c’est ce qui permet de rompre le mariage avec le petit-pipi. » [1] La drogue a une fonction, et cette fonction est de rompre.

Éclairée par cette lecture, la clinique desdits toxicomanes et alcooliques qui sont pris en charge dans les institutions de soins nous enseigne, notamment dans les conversations du TyA [2] où elle est élaborée, que les consommations de drogues et d’alcool de ces patients sont dans quasiment tous les cas une tentative de rompre avec les conséquences de la psychose. Elles sont une tentative de rompre tantôt avec la jouissance de l’Autre dont le sujet est l’objet dans la persécution ou le laisser tomber, tantôt avec l’absence de la dimension même du désir qui déconnecte le sujet de la réalité sociale. Plus encore, elles sont – l’angoisse que produit le mariage avec le petit-pipi l’indique – une tentative de rompre avec l’effet d’affect, de jouissance, que produisent ces différentes manifestations dans le corps.

La lecture des addictions à partir de leur fonction donne à l’accompagnement sa juste orientation.

Elle appelle d’abord à cerner et à prendre la mesure du réel de l’expérience du sujet : une persécution, un laisser tomber ou un vide d’élan vital qui ne cessent pas de s’itérer, à ciel ouvert, dans le réel, et rendent le lien social insupportable ou inexistant. Dans bien des cas, et spécialement dans celui des patients qui s’adressent à une institution résidentielle, le sujet a perdu un point d’appui (un conjoint, une activité, …) qui tempérait sa consommation, et ne dispose plus que de la drogue ou de l’alcool pour se défendre. Contaminée par l’itération [3], sa consommation s’est complètement emballée dans une manie du toxique et menace sa vie.

La lecture des addictions à partir de leur fonction met ainsi en lumière le véritable objet de leur traitement.

Le traitement des addictions se doit de porter sur les consommations. Il y a à répondre aux demandes de sevrage, avec ou sans substitution, et à mettre en œuvre les moyens institutionnels et médicaux spécifiques nécessaires. La visée est ici cependant moins l’abstinence que de limiter l’emballement de la consommation.

Mais le traitement des addictions se doit surtout de porter sur les conséquences de la psychose.

C’est pourquoi les intervenants ont dès le début de la prise en charge à ajuster leur position dans le transfert et leurs interventions à la position du sujet, de façon à ce que s’établissent un lien viable ou plus vivant pour le sujet, et, au-delà, un point d’adresse. Il s’agit tantôt d’incarner un autre Autre, pour le dire avec la belle formule d’Alfredo Zenoni [4], autre que celui dont le sujet est l’objet de jouissance dans la persécution ou le laisser tomber, un Autre réglé, tantôt de faire moteur pour pallier le « désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie chez le sujet » [5].

L’enjeu du traitement est alors de permettre au patient de découvrir ou d’inventer d’autres réponses aux conséquences de la psychose, qui fassent le poids par rapport à la redoutable efficacité de la drogue et de l’alcool.

Lire les addictions à partir de leur fonction relève donc d’une nécessité. Ne pas le faire n’est pas seulement « aussi stupide que d’ahaner à la rame quand le navire est sur le sable » [6], mais met en péril – l’expérience le démontre – la vie même de ceux qui s’adressent à nous.

Jean-Marc Josson

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[1] Lacan J., « Séance de clôture. Journées d’étude des cartels de l’École freudienne. 13 avril 1975 », Lettre de l’École freudienne, 1976, n° 18, p. 268, disponible sur internet : https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1975-04-13c.pdf

[2] Le TyA (Toxicomania y Alcoholismo) est un réseau du Champ freudien dont l’objet est l’étude des addictions.

[3] Cf. Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, n° 26, septembre 2017, p. 49-58.

[4] Cf. Zenoni A., L’Autre Pratique clinique, Toulouse, Érès, 2009.

[5] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.

[6] Ibid., p. 583.

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