Ce livre [1] présente une expérience originale concernant un jeune autiste. Ce n’est pas un cas clinique, bien que nous puissions y observer de nombreux éléments cliniques qui soulignent la singularité de Briac. Ce n’est pas non plus un témoignage écrit par des parents, et en même temps, ce livre montre la longue expérience vécue par les parents de cet enfant devenu aujourd’hui adolescent.
La forme du travail de Deborah Allio est peu habituelle, puisqu’il s’agit d’une longue série d’entretiens avec les parents et les sœurs d’un jeune autiste. On peut souligner leur qualité d’écoute, la finesse de leurs interventions et le tact avec lequel ils introduisent des limites.
Le rapport de Briac à la langue est particulier. Il saisit peu les nuances et tient au caractère biunivoque entre mots et objets, ce qui à la fois objectalise les mots et élimine les équivoques. Mais il s’attache aussi au son. Le père fait ainsi remarquer que « le sens ne lui importe pas forcément, mais il aime la sonorité » spécialement quand il s’agit de mots d’un vocabulaire élaboré.
On mesure aussi tout le travail fait par la mère pour l’introduire doucement dans la langue commune après avoir accepté tout un temps de déchiffrer sa langue privée.
Parmi les nombreux éléments cliniques dont ce livre fourmille, on peut repérer les singularités de l’usage de la voix, toujours travestie, ou l’évitement du regard, qui tiennent ainsi à l’écart l’Autre trop réel. S’appuyant sur des paires de doubles issues de dessins animés, il traite la présence de l’Autre en en réduisant l’énonciation. Ces doubles viennent dans la continuité de ses objets autistiques. Il faut ajouter qu’il a pris pendant un long temps un appui sur une de ses sœurs qui a ainsi opéré comme double. Et par cet appui il a appris à lire et à écrire à l’insu de tous, hors apprentissages scolaires, seul mais pas sans le double.
Progressivement cet appui sur les objets et les doubles sera remplacé par les objets connectés et la recherche sur internet. Aujourd’hui c’est par des supports pris sur le Net qu’il apprend, seul, des langues étrangères, spécialement l’anglais, mais aussi l’espagnol et le russe.
Comme le dit bien sa mère, il est solitaire mais sans chercher la solitude. Pour ses apprentissages il avance seul, mais « il cherche de plus en plus à être avec les autres, pas sur le mode de la conversation, mais juste d’être là ».
L’école inclusive ne lui a ainsi jamais convenu. Les parents regrettent d’ailleurs que le diagnostic d’autiste fait passer aujourd’hui au statut d’handicapé et qu’il a ainsi dû arrêter le travail en hôpital de jour qui l’aidait cependant beaucoup.
Son corps ne semble pas lui faire trop de difficultés, l’image étant plutôt stable, soutenue par une dose certaine de narcissisme – il n’a aucun souci à dire qu’il est beau – mais avec l’exigence que l’autre reste un peu à l’écart car il ne supporte pas d’être touché.
Un bout du corps cependant lui a toujours fait problème, son pénis en érection. Quand il était enfant il voulait le couper, mais à l’adolescence il a trouvé à s’en soulager seul. Toutefois cela s’est accompagné d’une invention : il voulait le photographier et le montrer. Les parents ont introduit un « interdit non négociable » qui a pris l’allure d’un amusement avec les personnages rendus présents par une voix travestie. C’est l’introduction d’un principe de limitation de la jouissance.
Il a aussi lui-même construit un scénario de réponse à l’angoisse. Lors de tels moments il énonce « Me voilà » et l’autre doit répondre « Ouh ! j’ai peur ». C’est un traitement de l’Autre auquel il fait porter son angoisse.
Alexandre Stevens
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[1] Allio D., « Attention, a peur ! Conversations avec la famille d’un jeune autiste », Paris, Imago, 2023.