Se désigner et prendre appui sur le signifiant « victime », c’est faire sien le mode de jouir modelé par la langue de l’Autre et loger « au dehors » la cause de l’urgence subjective. Ainsi la position de victime implique-t-elle le sacrifice du désir.
Adèle, 25 ans, consulte au CPCT lorsque la relation au père atteint un point d’insupportable. Elle se présente en victime d’un père insuffisant.
Le premier temps du traitement a permis de cerner son usage du signifiant « victime ». Adèle, objet d’un Autre insatisfaisant, déplie, dans une plainte teintée de déception, le scénario par lequel elle se victimise. La première précaution clinique a donc été de ne pas faire consister dans le transfert le de dont ce sujet hystérique se fait victime.
L’énoncé : « Je suis victime dans la mesure où je n’ai pas l’impression d’être la cause de… » marqua l’implication d’Adèle comme sujet responsable de la position qu’il adopte face à ce qui lui arrive. À la plainte que nous indiquait un sujet cédant sur son désir succède un je veux savoir.
Adèle livre un souvenir inaugural qu’elle situe à l’âge de six ans. Le père propose de l’accompagner au parc. La petite fille qui, « coquette », attend son père, se prépare. Il tarde à tenir sa promesse. Lorsqu’il vient la chercher, la petite fille pleure et refuse de le suivre. Elle reçoit une gifle. Il apparaît dans ce souvenir que ce qui intéresse Adèle, plus encore que le préjudice subi, c’est de destituer le père de sa fonction. Adèle témoigne d’une réponse insuffisante face à l’insupportable qu’elle rencontre alors. Nous faisons l’hypothèse que le récit de ce souvenir, dans lequel se cristallise sa position d’objet, fixe un phénomène de jouissance qui produit sa disparition comme sujet. Elle fera dès lors du signifiant « coquette » ce qui oriente la mascarade qu’elle offre à voir, et du signifiant « boxeur » ce qui la désigne dans sa relation à l’Autre comme « celui qui rend les coups ». Elle produira dans le traitement une nouvelle version qui s’accompagnera d’un allègement symptomatique. Ce temps du traitement a permis d’isoler et de déranger certaines identifications imaginaires.
Adèle découvre que sa vie amoureuse est une réponse adressée à la parole du père. En effet, c’est sur une parole du père : « tu aurais dû mourir dans le ventre de ta mère », qu’Adèle décida il y trois ans de s’installer avec un homme. Lorsqu’elle s’en sépare, de retour au domicile parental, elle attend anxieusement une phrase du père qui tomba effectivement : « ça ne m’étonne pas que P t’ait quittée, aucun homme ne pourrait rester avec toi ». Parole du père qu’il s’est agit, pour elle, de faire déconsister sans pour autant lui dévoiler son erreur. Adèle n’ignore plus sa part propre : l’idéal qu’elle nourrit côté face comporte une marque de jouissance côté pile.
Une séparation s’amorce. À partir de sa petite part, qu’elle a su repérer dans ce qui lui arrive, elle peut envisager de nouvelles solutions.