Le pari du CPCT repose sur la possibilité de saisir en seize séances, le tourment de ceux qui s’y adressent. Pour ce faire, il est essentiel d’être orienté de façon précise et rigoureuse. L’invention par Lacan de l’objet a contribue à se repérer dans une telle clinique, afin de cerner le réel en jeu pour ceux qui en font la demande.
Dans le Séminaire L’angoisse[1], Lacan introduit l’objet a et le caractérise par deux temps logiques. Dans le premier, l’objet est le produit de l’angoisse. C’est ce qui est déduit à partir de l’observation du second temps, où l’angoisse est là causée par l’objet. Lacan dira causée par le manque du manque. La manifestation de l’angoisse dont témoigne le sujet n’est donc pas sans objet, comme l’indique Lacan et c’est à partir de cet affect que l’on peut chercher quels sont les objets en jeu et de quel réel du sujet ils témoignent.
L’Angoisse
C’est parce qu’Alice sait que l’angoisse est un affect qui ne trompe pas qu’elle vient en parler à l’analyste. Ainsi, depuis qu’une mauvaise rencontre l’a saisie, cette jeune femme ne peut plus travailler. Alors que ses parents lui font une visite surprise dans la ville où elle fait ses études, très loin de la maison familiale, Alice est saisie d’angoisse. Celle-ci demeure une fois les parents partis et l’empêche de travailler. À partir de ce point, Alice remonte le fil de l’angoisse et se souvient de sa première manifestation il y a quelques années, lorsqu’elle rencontrait par surprise un ancien amoureux qui l’avait quittée. C’est à la suite à cette rupture qu’elle avait quitté sa ville natale, sans trop savoir pourquoi. Alice n’a pas questionné les raisons de cette séparation, ni ses effets. Cependant, l’angoisse qui surgit lors de la visite de ses parents l’interroge. En effet, Alice n’a de cesse d’affirmer à quel point ces derniers lui manquent et ne comprend donc pas sa réaction à leur visite.
Une enfance rêvée
Alice raconte une enfance « merveilleuse ». Elle ne tarit pas d’éloge sur ses parents qu’elle décrit comme très aimants. Pourtant, une ombre ternit l’image d’une époque perçue comme si heureuse. En effet, elle a le souvenir de s’être réfugiée dans un monde imaginaire dans lequel elle avait mis en place un dispositif qui la tenait éloignée des autres. Mais de quoi doit-elle s’éloigner ?
Alice a découvert à l’adolescence l’alcoolisme chronique de son père et les disputes avec sa mère qui en découlaient. Elle s’est rendu compte également de l’état dépressif de sa mère. Il s’avère alors que ce foyer si heureux pour elle, était en fait tourmenté par les tensions dues au mal-être des parents. Je lui fais part de mon étonnement concernant la distance entre son ressenti d’une enfance parfaite et le malaise familial qu’elle décrit. De quelle façon une petite fille peut-elle refouler à ce point une réalité si douloureuse ?
Alice a trouvé de solides appuis auprès de ses maîtres d’école et dans le travail scolaire. Elle était une brillante élève et s’est toujours sentie très heureuse en classe. Cette identification aux maîtres lui a permis de tirer un rideau sur la faille familiale, mais, par la même occasion, l’a empêchée d’en saisir toute la dimension angoissante. C’est en s’interrogeant sur le sens de son angoisse qu’elle commence à révéler dans les séances l’objet qui en est la cause. Ses parents ont traité leur propre angoisse en l’étouffant par un excès d’alcool et de médicaments. Elle a, durant son enfance, choisi à son tour de ne rien savoir et s’est réfugiée dans un monde imaginaire. C’est l’objet dans sa fonction de bouchon qu’Alice révèle par la description d’une enfance rêvée, dont peu de souvenirs et d’affects demeurent. C’est justement ce qui semble ébranlé lorsque son amoureux la quitte, provoquant ce qui ressemble à un passage à l’acte : quitter sa ville natale. Elle, qui a vécu son enfance sans subjectiver la rupture familiale intime, n’a pu, au moment où elle est quittée par un homme, que s’éloigner sans questionner cette rupture.
Jacques-Alain Miller précise que l’apparition de l’angoisse survient « quand il y a objet et quand il y a trop d’objets »[2]. Nous pouvons supposer que l’angoisse surgit chez cette patiente lorsque ceux dont elle s’est séparée font irruption soudainement. La présence chez elle des parents semble faire apparaître l’horreur dont Alice s’efforce de s’écarter depuis l’enfance. La levée de ce qui occulte la maladie des parents provoque l’angoisse en faisant apparaître son objet. C’est en parlant de ce qui l’angoisse, au lieu de le cacher ou de s’en séparer, qu’Alice commence à repérer le décalage entre son monde imaginaire et la réalité, et à se sentir ainsi apaisée.
Ouverture
Alice a trouvé au CPCT une façon d’apaiser son angoisse en la traitant par le signifiant. Ce parcours lui a permis d’apercevoir ce qu’elle rejetait jusque-là. L’envie de savoir qui se fait jour la conduit alors à vouloir entreprendre une analyse.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004.
[2] Miller J.-A., « Introduction à la lecture du Séminaire L’angoisse de Jacques Lacan », La Cause freudienne, Paris, Navarin/Seuil n° 59, 2005, p. 80.