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Nouvelle Série, L'Hebdo-Blog 252

Un nomade casanier

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« Le psychanalyste comme objet nomade, et la psychanalyse comme une installation portable, susceptible de se déplacer dans des contextes nouveaux, et en particulier dans des institutions. » (Miller J.-A. « Vers PIPOL IV », Mental, n°20, février 2008, p. 186.)

 

Le consultant du CPCT tient sa formation de sa cure, complétée par son étude de la psychanalyse. S’il s’exporte dans un CPCT, c’est en gardant la boussole de l’École de la Cause freudienne et en se référant à l’enseignement de Lacan. Plus ce nomade casanier s’éloigne du divan où il se forme, ou du lieu de sa pratique de psychanalyse pure, plus l’ancrage de sa formation à l’acte analytique et l’orientation de celui-ci vers le réel, apparaissent déterminants pour son activité de psychanalyse appliquée.

Au CPCT d’Antibes, qui reçoit adolescents et parents, l’action lacanienne de ce nomade bien orienté se développe sur les deux faces d’une bande de Moebius.

À l’intérieur de l’institution, elle vise à décoller l’adolescent du discours de l’Autre social qui lui colle à la peau et à l’amener à nommer sa jouissance. Dans ce nouveau territoire, le consultant reçoit des sujets en souffrance, qui parfois ignorent tout de l’analyse. Le traitement proposé, orienté par la psychanalyse, fait l’objet de discussion en cartel clinique et d’un contrôle avec un membre de l’École. Le pari est qu’il puisse conduire à des effets thérapeutiques, voire subjectifs, et donner à un jeune sujet un attrait pour la parole. La condition est qu’un transfert puisse s’instaurer ; à cet égard, la « position délocalisée » [1] du consultant, qui se tient à l’écart de la supposée normalité prescrite par le discours du maître et relayée par le surmoi parental, paraît décisive. Comme il se doit, le nomade est attentif et curieux, mais il ne se contente pas d’écouter. Il surprend l’adolescent en relevant ses signifiants, en mettant en fonction la hâte pour s’intéresser à ses objets de jouissance et à ses inventions, plus qu’au discours de son entourage.

À l’extérieur, à partir de cette nouvelle base – que Jacques-Alain Miller a appelé un « Lieu Alpha » [2] –, le consultant nomade peut aller à la rencontre de professionnels de la santé, des milieux socio-éducatif et judiciaire. Il intervient alors en qualité de représentant du CPCT établi dans la cité et adoubé par les autorités en place ; lors de formations sur des thèmes d’actualité – la prochaine portera sur « Les violences sexuelles à l’adolescence » –, le signifiant psychanalyse est mis en avant. Il peut aussi s’adresser à un public plus large pour transmettre les résultats de sa pratique, comme lors de notre dernier colloque qui vient de se tenir sur « Les refus scolaires », ce qui permet au CPCT d’ek-sister dans la cité.

Les outils avec lesquels le consultant intervient au CPCT sont aussi ceux qui lui permettent d’opérer dans d’autres institutions orientées par le discours du maître. Il s’agit toujours de se décaler de ce discours – tout en le respectant, voire en le justifiant –, en accordant la plus grande importance au « divin détail » [3], aux signifiants du sujet qui prend la parole et aux modes de jouir à l’œuvre. Ainsi, le CPCT réalise-t-il des supervisions auprès d’une équipe en charge de mineurs migrants, dits MNA, qui vise en particulier à ce que chaque intervenant, au-delà du Un de « l’équipe », puisse parler en son nom et amener sa propre question sur sa pratique, sur fond de nécessité du symptôme et d’impossible écriture du rapport sexuel, qui peuvent y être soulignés.

Ailleurs, c’est l’exigence d’un CMP que ses cliniciens se forment à des « thérapies brèves » pour répondre rapidement à la demande, qui peut se trouver subvertie par une formation basée sur l’expérience des « cycles » [4] courts orientés par la psychanalyse, tels que le CPCT les manie.

Enfin, le consultant témoigne souvent que son expérience au CPCT peut rejaillir sur sa propre pratique analytique en cabinet, en particulier lors des séances préliminaires. Effet retour d’un nomadisme qui s’enseigne de sa base et ne cesse de la réinventer.

Lors du séminaire interne réservé aux consultants, des questions peuvent surgir et être mises au travail : par exemple, l’hypothèse des « cures analytiques brèves » se confirme-t-elle ? Qu’en est-il du transfert au-delà d’un cycle court ? Comment se paye la gratuité des traitements ?

* Frank Rollier est le directeur du CPCT Antibes

[1] Cf. Miller D., « L’analyste, un Autre délocalisé », La Lettre mensuelle, n°257, avril 2007, p. 8-10.

[2] Cf. Miller J.-A., « Vers PIPOL 4 », Mental, n°20, février 2008, p. 186-187.

[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Les divins détails » (1988-1989), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, inédit.

[4] Miller J.-A. & al., « Théorie des cycles », in Miller J.-A. (s/dir.), Effets thérapeutiques rapides en psychanalyse. La conversation de Barcelone, Paris, Navarin, 2005, p. 65-75.

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