Question d’École, qui aura lieu le samedi 8 février à Paris (à la Mutualité), a choisi de traiter deux thèmes bien différents. Le matin : Ce que l’École te donne à lire. La formule surprend : pourquoi ce tutoiement qui fait du lecteur un frère, un compagnon, un intime ?
Le tutoiement vaut adresse directe au lecteur. Baudelaire en use dans son superbe poème d’ouverture aux Fleurs du mal. Et Lacan avec Scilicet, dont le titre est suivi d’un « Tu peux savoir ce qu’en pense l’École freudienne de Paris ». Cette adresse est une façon d’impliquer le lecteur dans le propos qui se tiendra, de l’y faire entrer d’emblée ; qu’il ne lise pas le titre de cette matinée de l’extérieur, tel celui qui regarderait un paysage à travers une fenêtre, mais qu’il y entre de plain-pied.
En l’occurrence, le public de Question d’École est celui-là même qui lit ce que l’École donne à lire, notamment à travers ses revues et blogs, ces parutions régulières qui constituent autant de rendez-vous fort attendus.
L’École donc, notamment dans ses revues, publie des travaux qui sont rédigés pour l’occasion. Elle publie aussi des livres dont, récemment, la Théorie de Turin à propos du sujet de l’École de Jacques-Alain Miller. Quelle orientation l’ECF veut-elle promouvoir dans ses publications ? Que vise-t-elle chez ses lecteurs ? Un savoir augmenté, complété, ou une subversion des savoirs institués – y compris cliniques ? Ce qui débouche sur cet enjeu : quelle place pour le savoir dans le champ de la psychanalyse ?
À travers ses événements et publications, l’École vise à faire rayonner le discours analytique et l’éthique qui le supporte, car c’est tout un.
Pour cela, il y a plusieurs pistes que nos publications empruntent volontiers. D’abord, celle de l’étude d’un thème, d’une notion, d’un concept ou d’une thèse, extraits d’un moment de l’enseignement de Lacan ou de l’œuvre de Freud et dont on peut parfois suivre le trajet de l’un à l’autre et ce, jusqu’à nos jours. Il s’agit bien sûr de tenir compte du réel de la clinique, dont Lacan comme Freud partaient et à laquelle ils revenaient. Mais ce peut être aussi à l’occasion la lecture, le déploiement et l’interprétation d’une citation. Et puis, il s’agit aussi de faire valoir la subversion essentielle que produit le discours analytique sur les discours courants dans lesquels l’époque ronronne volontiers – et cela même quand elle prétend se révolter contre le maître. Car on peut bien être révolté et ronronner néanmoins à qui mieux mieux.
Un savoir augmenté, donc, certainement. Une subversion des savoirs institués aussi, oui. Un savoir complété, certainement pas. Le savoir étant troué, il est et demeurera incomplet. Nos publications ménagent bien plutôt ce trou d’un numéro à l’autre, d’un thème à l’autre, en essayant de se tenir au plus près de ses bords, sans tomber dedans. C’est depuis l’inconsistance de l’Autre et l’incomplétude du savoir qu’elles avancent chacune dans leur style pour concourir au rayonnement du discours analytique. Il en va de même pour les livres que l’École publie.
Pour revenir aux revues, dont on parlera particulièrement lors de la matinée de Question d’École, disons qu’elles sont l’un des lieux où le travail des membres de l’ECF trouve à s’exposer, chacun s’y présentant à travers les articles offerts à son lectorat, chacun y témoignant de son travail, et par là, de son rapport à la cause analytique. Nos publications sont tout à la fois une vitrine de l’École : qui lit les publications de l’École se fait une idée de ce qu’est l’École, du moment dans lequel elle est, de ce qui la travaille et de ce qu’elle met au travail pour cette raison-là, et en même temps, la matière même de l’École, au sens où l’École trouve à s’inventer à travers ses publications notamment. Les publications constituent donc une part très importante de la vie de l’ECF. Lacan invitait d’ailleurs son École à « un effort de publication ». Cette question n’a encore jamais été abordée lors d’une de nos Question d’École.
Après le contrôle, le cartel, la passe, et bien d’autres thèmes… c’est donc cette fois l’occasion de parler de nos publications.
L’après-midi de Question d’École interrogera Les troubles neuro-développementaux. Les TND – TSA, TDA, TDI, DYS… – font florès. On les cite à tout bout de champ, et la clinique des enfants et des adolescents en fait l’alpha et l’oméga des évaluations, dépistages et prises en charge. Le terme de TDN implique la causalité cérébrale et les neuro-sciences légitiment ce qui est observé : le neuro sollicite le cerveau, les neurones, les synapses, la biologie des communications cellulaires, les tests, l’imagerie cérébrale. La psychanalyse n’y a pas sa place. Choisir un tel thème sert-il à démontrer que la psychanalyse, et toute clinique de la parole et de l’écoute, est désormais obsolète ? Ou s’agit-il de délimiter un combat : en quoi le fatras neuro et son soubassement idéologique sont-ils contestables ?
C’est un fait : les TND s’imposent. Il est saisissant d’observer qu’alors même que l’épistémologie qui les sous-tend procède d’un bric-à-brac théorique, ces diagnostics dominent avec une force qui inhibe toute remise en question de l’opinion. Un enfant souffre-t-il ? Vite, vite un diagnostic qui dira ce dont il souffre. Et en effet, partant du principe que c’est son cerveau qui dysfonctionne, ses symptômes ne peuvent faire signe que de ce que son cerveau dysfonctionne. Quand on n’a qu’un marteau… tous les problèmes ressemblent à des clous !
Disparition du sujet, de son rapport à l’Autre, au langage, à la parole, à son corps, à son désir, à sa jouissance. Ces diagnostics étant établis, les prescriptions qui s’en suivent excluent bien souvent la parole des traitements permettant auxdits porteurs de ces troubles de se sentir mieux : rééducations, remédiations, explications, protocoles, temps supplémentaires en cours et aux examens, médications, oui, mais de parole – pas. Et en effet, le cerveau ne parlant pas, on ne voit pas pourquoi on parlerait de son cerveau. Il y a là une certaine logique, quand on y songe, laquelle consiste à faire fi de la subjectivité de celui qui a un cerveau. Pourtant même si le cerveau était de part en part impliqué dans lesdits TND, cela exclut-il qu’il y ait un sujet qui souffre et dont la dignité tient précisément à l’effort d’en dire quelque chose ? La question se pose pour les enfants, mais aussi pour les adultes dont certains sont tentés eux aussi de traiter leur malaise via la recherche d’un diagnostic type TND.
Que faire du constat que dans une époque où l’on parle tant et plus, ceux qui souffrent sont pourtant invités à ne pas parler de ce qui les trouble ? Et comment interpréter cette composante du malaise dans la civilisation qu’un certain scientisme promeut ? Comment composer avec elle ? Comment y répondre ? Telles sont quelques-unes des questions que nous explorerons le 8 février prochain à la Mutualité.
Questions posées par Hervé Castanet