« Le temps est la substance dont je suis fait. Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve : c’est un tigre qui me dévore mais je suis le tigre ; c’est un feu qui me consume mais je suis le feu. »[1] (Jorge Luis Borges)
Ce XIIIe congrès de la NLS s’est déroulé dans cette magnifique ville de Genève dans une ambiance accueillante et conviviale sous l’égide du tableau de Lucio Fontana « Attese ». L’œuvre exhibe des entailles qui traversent la surface de la toile « offerte au regard presque apaisante »[2] . Cette rencontre en tant que telle a fait entaille, tuche par son work in progress original, varié, créatif, et nous a donné à entendre et à mettre au travail des témoignages originaux de la crise dans tous ses états.
Le malaise dans la culture nous le montre : les crises se succèdent. « Le psychanalyste est ami de la crise »[3].
Nous nous sommes laissé surprendre par les différences séquences, autant de contingences inédites et inventives autour de la crise, des crises. Quand les semblants vacillent, l’entaille s’ouvre et laisse le temps de la crise nous saisir. Entre coupure, temps et attente, on retrouve les composantes de toute crise, nous dit François Ansermet. La temporalité était bien au rendez-vous : coupures cinématographiques comme discours qui alternent entre les séquences, entailles, événements, précipitations subjectives, hâtes de l’acte de dire, de démontrer, de témoigner, de conclure aussi. Les trois temps logiques que Jacques Lacan démontre avec l’apologue des trois prisonniers : l’instant de voir, le temps pour comprendre et le moment de conclure emportent ses participants vers les entours d’un réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, d’un réel qui échappe toujours.
Une entaille cinématographique
Récréations, un documentaire réalisé en 1992 par Claire Simon, montre une petite fille essayant de sauter, apeurée, dans le vide, assistée par ses camarades de classe, elles très à l’aise dans l’exercice. Temps réduit à zéro mais qui se précipite, aidée par le regard des autres enfants, à l’acte conclusif et si redouté : le saut. Ici, il s’agit d’un moment de crise comme moment décisif.
Parcours
Des incidences cliniques de la crise financière autour de la dette comme objet ; de la crise au symptôme ; la crise par la science, autour d’une métaphore sur le temps à l’heure où « le S1 se propose de prendre le relai » avec sa fétichisation du chiffre. Selon Lacan, le réel est impossible à calculer : le calcul est pris entre la crise permanente dans le système et la crise par le sujet ; des liens entre crise et acte, une entaille dans le dispositif pour viser l’insondable dans la vérité du délinquant sexuel et du criminel ; une séquence entre Alain Grorichard et Jacques-Alain Miller sur la clinique du cas Rousseau, démonstration remarquable de l’extension du concept de crise pour Rousseau avec une crise dans le corps. Quel est le moment de crise où Rousseau s’est fait un nom ? Il écrit que si on lui demandait ce qu’il voudrait être, il répondrait mort. Crise dans la clinique des catastrophes, de la rencontre avec le trauma, de l’immédiat comme manifestation du réel hors sens. Parfois la présence en-corps vaut comme la présence de l’analyste face à des personnes qui ne peuvent parler. Une question pointue a été posée à D. Creminter : est-ce que l’attentat de Charlie a fait tuche pour vous ? Crise et transfert ; crise et jouissance ; crise, adolescence et addiction.
La séquence des AE, crise et fin de cure, a clôturé magistralement le congrès avec cette question posée à chacun au plus près du réel : « la fin de votre analyse était-elle une crise ou pas ? » Recueillons quelques instantanées de la parole de chacun d’entre eux.
- « Il n’y a pas de clé de la fin, il y a seulement des pièces détachées ». (S. Castellano)
- « La lumière de l’obscur » ; « la morsure ça vivifie ». (D. Labro-Lacadée)
- « Le corps a-larmé» ; « un saut dans le vide à la fin de l’analyse ». (M.-H. Blancard)
- « Le rire, affect de gaité, une légèreté inattendue » ; « la libération de la chaîne du fantasme est momentanée » ; « à la fin de l’analyse, c’est une nouvelle histoire de savoir y faire avec ». (B. de Halleux)
- « Si il n’y a pas de libido, je ne peux ni croire ni aimer ». (A. Aromi)
- « Je ne peux plus faire comme si je ne savais pas » : « consentir au désir qui permet une extraction du fantasme ». (J. Lecaux)
Ces différentes séquences montrent la place du psychanalyste telle que Lacan l’indique : « Il faut en passer par cette ordure décidée pour, peut-être, retrouver quelque chose qui soit de l’ordre du réel »[4].
[1] Borges J. L., Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 2010, p. 816.
[2] Commentaire de François Ansermet
[3] Miller J.-A., « La crise financière vue par Jacques-Alain Miller », Marianne, 11 octobre 2008.
[4] Cité par Lilia Mahjoub, Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 124.