Quasiment intouché jusqu’en 1985, où une loi permet alors le changement de nom, mais au prix d’un long parcours administratif et impliquant que le garde des sceaux édite un décret, le nom du père subit une mutation depuis juillet 2022. En effet, une loi permet désormais une procédure simplifiée pour demander un changement de nom. En l’occurrence, il s’agit de l’adoption du nom de famille de la mère soit à la suite de celui du père soit en remplacement de ce dernier. En presque cinq mois, révèle Libération, 40 000 personnes en ont fait la demande [1].
Dans son enquête, la journaliste Marlène Thomas indique, à partir de témoignages, que ce changement a opéré pour certains une valeur thérapeutique, notamment lorsque le père a fait vivre des maltraitances, dont le nom du père sonne, dans ces cas, le rappel du traumatisme vécu.
Le nom de la mère serait-il le nouveau Nom-du-Père généralisé ? Assisterions-nous à l’autodétermination du sujet quant à ses origines ? La question est plus complexe et moins univoque que cela. Car si l’on peut s’interroger sur l’effet miraculeux du changement de nom, c’est-à-dire sur l’opérativité, sur tous les plans impactés par les effets du traumatisme, de l’effacement d’un nom au profit d’un autre, on peut néanmoins s’intéresser au dire du sujet qui fait ce choix, en tant que pour certains il peut indiquer le point d’achoppement d’une subversion.
Une des familles interrogées par Libération permet d’ouvrir l’éventail des positions subjectives. Car, malgré le vécu des violences de leur père sur eux et sur leur mère, les trois enfants de la famille n’ont pas tous choisi la même façon de faire avec le nom de leur père. Et si nous n’assistons pas en propre à un « polymorphisme de ce qui concerne [le] rapport au père » [2], nous assistons ici à un polymorphisme de ce qui concerne le rapport au nom du père. L’une a « opté pour le reniement », effaçant le nom de son père au profit du nom de sa mère. Pour elle, « porter le nom de ma mère est un pansement, la preuve que je peux passer à autre chose ». Son frère, lui, a préféré « juxtapose[r] les deux pour “ne pas oublier” ». Tandis que l’aînée n’a pas procédé à un changement et vise plutôt à « prouver qu’elle est “au-dessus de ce patronyme” ».
Ce sont donc trois positions subjectives différentes dont nous pouvons extraire quelques traits. Aux extrêmes opposés : le reniement et le dépassement. Entre les deux : la conciliation. Dans les trois cas, le statut du nom du père est différent. Dans le reniement, il est effacé, jeté dans les limbes et remplacé par le nom de la mère. C’est d’ailleurs un reniement en réponse à un autre : « On s’est mutuellement reniés avec mon père et sa famille », dit la jeune femme. Dans le dépassement, le nom du père est inchangé, mais l’idée du sujet est qu’il est dépassable – or, pour le dépasser, il faut bien qu’il soit là, inscrit, notifié. Quant à la conciliation, elle permet la présence de deux termes tout en les mettant en opposition.
Peut-être que le malaise mis en lumière par le nombre conséquent de demandes est-il celui de la confusion du nom et de l’être, au point qu’un rejet émerge, qui peut aller « de la simple indifférence à la haine, en passant par la revendication » [3].
Romain Aubé
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[1] Thomas M., « État civil. Les mères se refont un nom », Libération, 29 & 30 avril 2023, p. 2-4.
[2] Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n° 89, mars 2015, p. 8.
[3] Caroz G., « Avant-propos », in Miller J.-A. (s/dir.), La Solution trans, Paris, Navarin, 2022, p. 7.