Clinique et critique du patriarcat met les termes du débat dans un ordre de priorité inverse par rapport à la Critique et clinique [1] de Gilles Deleuze. Avec le titre du Congrès PIPOl 11 qui se tiendra à Bruxelles, les 1 et 2 juillet prochains, nous partons de la clinique pour aboutir à une critique politique. Deleuze et Guattari dans leur Anti-Œdipe [2], ont pris une position critique politique. Ils prônaient contre le patriarcat, qu’ils pensaient soutenu par la psychanalyse, une schizo-analyse afin de désœdipianiser les sujets. L’Œdipe, tel que la cure analytique le traite, disaient-ils, amène à une double impasse : névrose ou normalité. Ils plaçaient en idéal le schizophrène qu’ils imaginaient sans angoisse s’il est mis à l’abri du moule œdipien imposé par la société. À partir de leur point de vue politique sexo-gauchiste, le schizophrène serait l’homme libre par excellence, sans contrainte sociale, ni carcan.
Les critiques actuelles qui s’adressent à nous, psychanalystes, sont toujours, cinquante ans plus tard, largement alimentées par l’ouvrage de Deleuze et Guattari, et pour cette raison il est intéressant d’y retourner afin de mesurer combien les arguments n’ont pas changé ou comment ils ont changé. Il est intéressant également de mesurer la puissance des réponses que Lacan a données à ce brulot venu faire accident dans les années soixante-dix. Jacques-Alain Miller signale dans la « Conversation de Montpellier » [3] que « L’étourdit » [4] fut une réponse, mais aussi le Séminaire XXIII [5] sur Joyce. Là où Deleuze et Guattari prennent en exemple des schizophrènes marqués par la folie tels que Wolfson et Artaud, Lacan s’empare du cas de James Joyce, suite à l’invitation de Jacques Aubert en juin 1975 à la Sorbonne. Jamais il ne parlera à son propos de psychose, ni de schizophrénie. C’est Jacques-Alain Miller qui proposera ensuite cette lecture du cas. Avec Joyce, Lacan élabore une théorie consistante de la subjectivité humaine à partir du sinthome, réduisant la fonction du Nom-du-Père à la portion congrue, un outil tout au plus.
Dans le texte de Jean-François Cottes, vous trouverez une lecture très éclairante de la réduction contemporaine du régime du père. Puisqu’il n’y a pas d’insertion automatique du sujet dans le symbolique, il lui faut une médiation. Quand ce n’est pas la Loi à laquelle le Père introduit, alors ce sont les normes qui sévissent et la fraternité, déclinée en sororité côté femme. Mais alors c’est la ségrégation (avec son corollaire d’exclusion) entre les frères et les sœurs qui règne. Aujourd’hui toujours plus de choix sont possibles et la liberté ainsi offerte aux sujets les égare, comme celle de choisir après-coup de se débarrasser du patronyme paternel au profit du maternel ou des deux. Romain Aubé montre comment cette récente possibilité a des conséquences cliniques importantes à mesurer. Philippe Lacadée propose avec Robert Walser une clinique ironique du patriarcat et enfin la chronique du malaise de Catherine Lacaze-Paule expose la pointe de la langue de Lacan avec ses apologues dont elle annonce le développement dans les numéros suivants.
Bonne lecture et à bientôt à Bruxelles !
Katty Langelez-Stevens
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[1] Deleuze G., Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993.
[2] Deleuze G. et Guattari F., L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Minuit, 1972.
[3] Miller J.-A., « Conversation sur le sinthome », in « Le parlement de Montpellier », Journées UFORCA des 21 et 22 mai 2011, inédit.
[4] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449-495.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005.