La consultation est à considérer comme un moment unique. Le consultant, opérateur numéro un, soutient dans sa rencontre avec le patient un mode d’interrogation qui implique une croyance en la parole. A contrario de l’air du temps qui emporte l’opinion, incrédulités, généralités et indignations n’y ont qu’une place limitée… Il convient, dans ces lieux Alpha1, de contrarier ce qui vient de l’espace public et entrave le bien-dire : information, communication, recherches de maîtrises obsédées de techniques sont fréquemment de la partie lors de ce premier rendez-vous. Une expérience certaine est requise du côté de celle ou celui qui accueille, pour déranger et se mettre un peu de biais, afin d’« obtenir du sujet2 », ce qui permettra d’assurer la direction du traitement.
Une prescription sous transfert
Se dégagent des comptes-rendus des consultants les formulations susceptibles d’arrimer le sujet. Elles ouvrent discrètement à des points de vue inédits qui ne détruisent pas son Autre. Ces appréciations sont essentielles ; un signifiant prélevé dans la langue du sujet peut permettre son inscription dans le tableau, plus ou moins morcelé, qu’il présente de sa vie. Cependant, d’être trop réel, le signifiant peut convoquer perplexité et angoisse. L’enjeu est de taille : la parole pour qui s’oriente de la psychanalyse n’est pas jeu de dupes, exercice de communication. Elle n’est ni rebut ni pacotille. L’opération est délicate : ce temps Un prépare la suite et nous pouvons souvent noter, dans l’après-coup, en quoi il a fait événement. L’attention du consultant est rapportée au cas particulier pris dans la conversation et dans le discours, loin des signes établis qui permettraient d’établir une prescription à l’intention du praticien qui va prendre la suite. Des points précis sont dégagés, recueillis, qui font hypothèses utiles pour la direction du traitement.
Position subjective
Qu’est-ce qui a émergé d’une ponctuation ? Quel infime détail va permettre de franchir le seuil du traitement avec un nouvel interlocuteur ? Le « diagnostic rapide3 » porte sur la position du sujet à l’endroit du phénomène dont il se plaint, qui le fait souffrir, voire dont il ne peut pas dire grand-chose. Ce passage fait transmission du consultant au praticien selon le type de transfert qui se précise ensuite. Quant au patient, se repère après-coup comment son mode d’implication subjective s’est logé dans le Centre psychanalytique de consultations et de traitement (CPCT), faisant continuité à partir de ce franchissement. Qu’accueille le consultant ? Pour trouver la clef, il convient de s’éloigner des pourquoi, de la cause qui peut enfermer. Dans les lieux institutionnels qui logent le signifiant psychanalyse, le sujet n’est pas seulement déterminé par son passé, mais aussi par l’inconscient auquel a certes contribué le « programme familial » bien qu’il soit toujours sans équivalent.
Tenir compte de la jouissance
Omaïra Meseguer indique combien le « petit détail » ouvre à la possibilité « d’être entendu pour pouvoir éprouver la joie de s’entendre dire »4. Dans ces lieux Alpha, le dispositif est limité dans le temps, mais il ne saurait s’agir de vouloir faire vite et bien. « Qu’on dise5 » est la seule modalité pour saisir ce qui le pousse. Il arrive que la consultation soit l’occasion d’un déchaînement pulsionnel qui conduit l’analyste à une autre manœuvre que celle du passage en traitement. Ainsi cet homme qu’une consultante décide de recevoir elle-même, à un rythme régulier. Les entretiens ne seront pas sans effets de modération sur les passions féministes de ce sujet grimaçant et agité. Qu’il ait consenti à la rencontre avec un psychiatre, ce qu’il avait refusé jusque-là, n’est là que l’indice de son gain de socialisation.
Jacqueline Dhéret
[1] Cf. Miller J.-A., « Lieu Alpha », in Perrin Chérel M. (s/dir.), Être parents au 21e siècle. Des parents rencontrent des psychanalystes, Paris, Michèle, 2017, p. 23-30.
[2] Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 636.
[3] Miller J.-A., « Lieu Alpha », op. cit., p. 25.
[4] Meseguer O., intervention lors de la 6e matinée d’étude de ParADOxes, Paris, 7 décembre 2023, inédit.
[5] Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.