Pornographie[1] À qui l’heureux corps ?
Les élans du sexe, s’ils sont pris dans la trame du symbolique, ne se plient pas aisément aux prescriptions sociales. Havelock Ellis[2] l’avait noté : « le fait essentiel et intime du mariage, à savoir le coït sexuel, ne peut être un contrat, ni soumis à un contrat » sauf à en faire « une farce sinistre ». Les corps physiquement accordés ne peuvent ignorer l’incidence du réel, à l’occasion fauteur de trouble.
De nos jours, le porno se mêle fréquemment de la partie. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit du home-porno : un couple hétérosexuel utilise volontiers la caméra ou l’appareil photo au cours des relations, à la satisfaction de chacun.
Mais un jour, l’homme découvre dans un tiroir un DVD qui détaille les exploits de sa compagne avec un amant précédent. Elle lui avait parlé de cet homme mais bien sûr sans décrire leurs modes de jouir. Ainsi commence le tourment : il décide de ne pas lui parler de sa découverte, mais ne cesse d’y penser et il est parasité par telle image indélébile qui nourrit sa douleur. À partir de là, il bute sur la question : qui de lui ou de l’autre est le meilleur partenaire de la dame ? Par volonté de maîtrise, il intensifie notablement la fréquence de leurs rapports mais son angoisse subsiste.
L’existence du DVD le réduit à être un œil vorace, un sujet capté par l’image d’une jouissance qui lui échappe. C’est sa position de voyeur. En même temps, au-delà de cette image trop réelle, ça le regarde. Ce que Lacan thématise dans le Séminaire XI comme le point lumineux, le point de regard en provenance de l’Autre, le second versant de l’aliénation qui obnubile cet homme. Cela passe par l’écran et non plus par l’image. Il se sent à la merci d’une diffusion sur la « toile » des photos de son aimée lutinée par l’autre subitement en mal de vengeance. Il serait alors embarqué dans le spectacle mis sur le web. Horreur !
L’enjeu de cette quête harcelante, c’est d’arriver à articuler la jouissance phallique à la castration. Serge Cottet rappelait récemment que « ce n’est pas le porteur de phallus qui jouit mais le phallus ». Cela ne dégage en rien la responsabilité de notre patient. Ses désarrois tiennent au fait que si, comme le dit Lacan, « la femme trouve le signifiant du désir dans le corps de l’homme », il veut savoir si c’est bien de son corps qu’il s’agit pour sa partenaire, si c’est bien lui qui détient le record.
[1] Francesconi P., “Pornographie”, Scilicet – Le corps parlant – Sur l’inconscient au XXIème siècle, collection rue Huysmans, Paris, 2015, pp. 251-253.
[2] Havelock Ellis, essayiste anglais contemporain de S. Freud, investi dans la sexologie et à l’origine des notions d’autoérotisme et de narcissisme.