Projection réalisée le 28 mars 2015 à Nice
en présence de Gérard Wajcman
Qu’est-ce que l’identité? Cette question se pose en filigrane du film Bienvenue à Gattaca[1], car, en effet, la croisée du destin des héros les conduit à échanger leurs identités. Un contrat se lie entre Vincent qui devient Jérôme et Jérôme qui devient Eugène, dans une mise en scène planifiée transgressive visant l’assomption d’un désir commun : rejoindre les étoiles.
Ce film d’anticipation montre une société transhumaniste dans laquelle l’identité des sujets est devenue subordonnée à leurs profils génétiques. Dans le cadre de cette société sous contrôle, le repérage identitaire tient une place charnière et dévoile les relations qu’entretiennent image et réalité biologique.
Si l’image ne révèle que partiellement l’identité d’un sujet et peut être un leurre, elle demeure ce qui marque l’entrée de tout sujet dans un « Je » social via l’expérience du miroir, étape psychique au fondement de la reconnaissance du sujet par l’Autre dans une nomination singulière. C’est l’identification du sujet à l’Autre de son image.
Lors de sa venue à Nice le samedi 28 mars 2015, Gérard Wajcman a relevé ce point du film où l’identification du héros est en jeu, pour évoquer plus largement la question de la reconnaissance identitaire dans le lien social. Les coordonnées du sujet sont en pleine mutation, ce qui soulève plusieurs questions d’ordre épistémologique. À travers quoi le sujet se reconnaît-il? De quelles marques son identité est-elle constituée ? Les experts de la police scientifique nous montrent depuis longtemps que l’identification d’un suspect se fait grâce aux traces biologiques qu’il laisse sur la scène, traces qui font apparaître l’identification oculaire comme archaïque et peu fiable. Ce sont des progrès, qui, dans ce contexte précis, permettent de se rapprocher de la réalité des faits en évitant l’écueil de certaines erreurs judiciaires. Cependant, réalité, vérité et réel ne se recouvrent pas toujours et la prolifération de ces techniques dans toutes les strates de la société généralisent l’évacuation de la dimension du regard, ce qui n’est pas sans incidence clinique.
Si l’image du sujet n’est plus ce qui le représente de prime abord, la perception par l’œil humain n’est plus nécessaire à sa discrimination la plus fondamentale. La discrimination s’opère donc ailleurs.
Le jugement d’attribution décrit par Freud[2] se déplace de l’expérience perceptive de l’objet au réel du génome imperceptible à l’œil nu mais qui s’impose à tous. Les dimensions symbolique et imaginaire telles qu’elles s’articulent traditionnellement via la parole et le regard s’effacent au profit d’un savoir sur l’invisible matière qui nous constitue, qui devient la référence absolue. Le monde froid de Gattaca met l’accent sur une définition de l’Homme prédéterminée par son réel génétique en éradiquant la dimension du corps parlant. Or « l’Autre c’est le corps »[3] nous indique Lacan. Ici le corps est le réceptacle d’un code abstrait qui fait Loi, la génétique, dont la certitude fait sens unique et n’appelle aucune interprétation. La chaîne génétique, composée de ses lettres fixes, exclut la contingence, la dimension psychique de l’être parlant et tous ses effets de subjectivité ainsi relégués au rang de préhistoire humaine.
Ainsi l’identité du sujet est-elle multiple et sa définition varie selon qu’elle se réfère au genre, à la culture ou la fonction, qu’elle s’inscrive dans un discours sociologique, anthropologique ou biologique. La psychanalyse permet de mettre en lumière la disjonction entre l’image du sujet, à la fois masque et support identitaire, et la vérité intime de son être. Bienvenue à Gattaca nous introduit à une réflexion sur la faille autour de laquelle le désir du sujet est à l’œuvre, marquant son rapport au monde, son style, son identité singulière face au réel opaque de son propre mystère.
[1] Niccol A., Gattaca, USA, 1997, France, 1998 sous le titre Bienvenue à Gattaca.
[2] Freud S, « La négation » (« Die Verneinung ») (1925), Résultats, idées, problèmes, tome II, Puf, 1998, p.136-137.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, « La logique du fantasme », leçon du 30 mai 1965, inédit.