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Entretien de L’Hebdo-Blog avec le comité de pilotage des 45es Journées de l’ECF

Il y a trois semaines vous découvriez, le très beau texte de Marie Christine Bruyère sur le couple étonnant que formait Marceline Loridan-Ivens avec Joris Ivens, « Oublier pour se souvenir ». Celui-ci signait l’entrée du thème des Journées dans notre Hebdo-Blog. Aujourd’hui, le rythme s’accélère, et c’est une interview du comité de pilotage des 45es Journées que nous vous proposons de découvrir. L’Hebdo-Blog remercie chaleureusement Virginie Leblanc, Damien Guyonnet et Camilo Ramirez de s’être prêtés à nos questions, pour nous engager vers ces Journées qui promettent de nous surprendre Encore !

On est un couple, on est en couple, on fait l’amour, mais faire couple ! D’un coup d’un seul ce « faire » semble révéler une comédie à l’œuvre derrière Le couple si fréquemment évoqué comme un invariant. « Faire couple » n’est-ce pas là une véritable subversion ?

Faire couple pose la question des liaisons inconscientes qui réalisent le véritable fondement d’un couple. Avec qui, avec quoi fait-on la paire ? La question envisagée depuis l’expérience de la cure est celle du couple sous transfert. Elle sera explorée dans sa diversité actuelle pour interroger comment la société, la famille entrent en jeu dans l’économie de la jouissance. L’expression « faire couple » est de Lacan, elle évoque l’idée de réalisation, la nécessité d’un travail, comme le propose Christiane Alberti dans l’argument des Journées : faire couple exige un travail (comme on dirait, au sens de Freud, le travail du deuil) c’est aussi bien une tempérance dans le calcul des jouissances. Le faire fait écho également à cette autre formulation de Lacan, savoir-y-faire, qui elle-même se distingue bien du savoir-faire. Comme nous disons avec Lacan savoir-y-faire avec son symptôme, nous dirons, en restant fidèles à son enseignement, faire couple. Et là, il est question de surprise et d’embrouilles.

Drames amoureux, compagnonnages fidèles, ou infidèles, nouveaux couples, couples d’un nouveau genre ( avec un objet ? ou faire couple tout seul ? ) couples parentaux, couples érotiques, couples illégitimes, couples inconscients, couples célèbres, couples infernaux… Ce thème nous donne le vertige tant il convoque à la fois les passions de l’être, ses mirages, et le symptôme. Sur fond de quel discours, de quelle épistémè en convoquez-vous l’actualité ?

Sur fond du discours analytique, bien sûr. Si les branches de l’arbre comme vous le dites, sont multiples, le tronc lui est très précis : comment fait-on couple aujourd’hui ? C’est une question qui déborde celle de l’amour car nombreuses sont les façons de se lier à un partenaire, de faire nœud avec lui, elles ne passent pas nécessairement par l’amour et sont tout autant des formes vivantes de faire symptôme à deux. Comment ce « faire couple » se produit-il ? Sous quelles conditions tient-il, ou pas ? C’est précisément dans le cadre de la relation analytique, relation à deux, toujours, que chacun peut aborder comment ça tient, à quoi ça tient.

La clinique analytique nous sera donc très précieuse pour y répondre, mais comme l’illustre la conception du blog des Journées, elle ne sera pas notre seul prisme. Des témoignages venus des horizons les plus divers viendront nous enseigner sur ces formes toujours uniques, forgées par les parlêtres, pour cheminer dans la vie deux par deux. Les Journées comptent bien jeter quelques lumières sur la persistance de ce chiffre dans notre civilisation, décidément : à l’ère du narcissisme et de l’individualisme triomphant comme des Uns tout seuls, le duo se porte étonnamment bien, et ce, bien au-delà du conjugo. Alone, d’accord, mais Together !

L’année dernière vous nous avez tenus en éveil jusqu’aux Journées au rythme endiablé de journaux, vidéos, témoignage, textes... Est-ce que cette année vous nous réservez de nouvelles surprises ? Pourriez-vous en donner la primeur à L’Hebdo-Blog ?

Bien évidemment, et comme ce sont de vraies surprises nous ne donnerons ici que quelques indices ! Notre affiche a été révélée le 3 avril et le blog a été lancé le 11 mai. Désormais, toutes les semaines (à l’exception de la pause estivale), nous proposerons aux internautes de faire couple avec nous...

Le blog des Journées a été entièrement refait. Il se veut plus pratique, plus simple d’utilisation, mais également plus beau !

D’autres surprises viendront du côté des supports audio-visuels employés pour diffuser au plus grand nombre ce riche et gai tourbillon qu’est la préparation des Journées. Il nous semble essentiel de continuer à forger de nouvelles formes de propagation du discours analytique dans ce que la psychanalyse a de plus vivant. Là réside sans doute l’un des indices du succès remporté l’année dernière : réinventer la façon de faire rayonner le discours analytique, tout en gardant la rigueur qui lui est propre.

Vous évoquez la diversité des supports qui sont les nôtres. Sur le net bien sûr, mais également à travers tous les événements qui sont organisés à Paris et dans les régions. Les deux mouvements sont importants. Ils font couple, pour ainsi dire.

Enfin, une grande surprise vous attend très prochainement… Vous le verrez, celle-ci signera plus encore notre ancrage dans l’époque, notre souci constant de nous adresser à l’opinion au sens large et enfin, notre désir de maintenir Lacan et son enseignement toujours plus vivants.

Impossible de penser les J45 sans les mettre en perspective avec l’événement étonnant et détonant des J44. On serait tenté de se dire : « parce que nous avons créé un événement nous avons la formule magique. » Quelle serait-elle, cette formule ? Mais surtout à quoi tient-elle ?

Le secret réside sans doute dans la façon d’accueillir chaque année toutes ces nouveautés qui décomplètent l’idée d’avoir trouvé la clé du succès l’année précédente ! Certes il y a un vent de nouveauté qui souffle sur les Journées de l’ECF depuis deux ans, mais il ne gardera sa puissance rafraîchissante qu’à condition de refuser la tentation du même.

La formule magique pourrait se résumer en un seul mot : désir. Et pas de désir sans l’Autre, comme vous le savez. Ce que nous souhaitons c’est que chacun puisse être entraîné dans ce mouvement : depuis l’organisation bien sûr, mais également en lisant les articles ou en découvrant nos vidéos ; en participant activement à la diffusion, ou simplement en assistant aux journées préparatoires. À chacun sa manière de se sentir concerné par ces Journées. Et à chacun son rythme.

Finalement, nous n’avons pas du tout le sentiment de recommencer. La seule chose qui se répète c’est la nécessité de pénétrer et de se laisser pénétrer par le thème que nous avons choisi, de le faire vibrer à l’orée de l’enseignement de Lacan, et de le faire entrer en résonance avec notre époque. Souvenez-vous de ce tweet de Jacques-Alain Miller au moment du lancement du blog : « La psychanalyse épouse son époque ». Voilà finalement la formule magique !

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Bienvenue à Gattaca ou les figures de l’identité

Projection réalisée le 28 mars 2015 à Nice

en présence de Gérard Wajcman

Qu’est-ce que l’identité? Cette question se pose en filigrane du film Bienvenue à Gattaca[1], car, en effet, la croisée du destin des héros les conduit à échanger leurs identités. Un contrat se lie entre Vincent qui devient Jérôme et Jérôme qui devient Eugène, dans une mise en scène planifiée transgressive visant l’assomption d’un désir commun : rejoindre les étoiles.

Ce film d’anticipation montre une société transhumaniste dans laquelle l’identité des sujets est devenue subordonnée à leurs profils génétiques. Dans le cadre de cette société sous contrôle, le repérage identitaire tient une place charnière et dévoile les relations qu’entretiennent image et réalité biologique.

Si l’image ne révèle que partiellement l’identité d’un sujet et peut être un leurre, elle demeure ce qui marque l’entrée de tout sujet dans un « Je » social via l’expérience du miroir, étape psychique au fondement de la reconnaissance du sujet par l’Autre dans une nomination singulière. C’est l’identification du sujet à l’Autre de son image.

Lors de sa venue à Nice le samedi 28 mars 2015, Gérard Wajcman a relevé ce point du film où l’identification du héros est en jeu, pour évoquer plus largement la question de la reconnaissance identitaire dans le lien social. Les coordonnées du sujet sont en pleine mutation, ce qui soulève plusieurs questions d’ordre épistémologique. À travers quoi le sujet se reconnaît-il? De quelles marques son identité est-elle constituée ? Les experts de la police scientifique nous montrent depuis longtemps que l’identification d’un suspect se fait grâce aux traces biologiques qu’il laisse sur la scène, traces qui font apparaître l’identification oculaire comme archaïque et peu fiable. Ce sont des progrès, qui, dans ce contexte précis, permettent de se rapprocher de la réalité des faits en évitant l’écueil de certaines erreurs judiciaires. Cependant, réalité, vérité et réel ne se recouvrent pas toujours et la prolifération de ces techniques dans toutes les strates de la société généralisent l’évacuation de la dimension du regard, ce qui n’est pas sans incidence clinique.

Si l’image du sujet n’est plus ce qui le représente de prime abord, la perception par l’œil humain n’est plus nécessaire à sa discrimination la plus fondamentale. La discrimination s’opère donc ailleurs.

Le jugement d’attribution décrit par Freud[2] se déplace de l’expérience perceptive de l’objet au réel du génome imperceptible à l’œil nu mais qui s’impose à tous. Les dimensions symbolique et imaginaire telles qu’elles s’articulent traditionnellement via la parole et le regard s’effacent au profit d’un savoir sur l’invisible matière qui nous constitue, qui devient la référence absolue. Le monde froid de Gattaca met l’accent sur une définition de l’Homme prédéterminée par son réel génétique en éradiquant la dimension du corps parlant. Or « l’Autre c’est le corps »[3] nous indique Lacan. Ici le corps est le réceptacle d’un code abstrait qui fait Loi, la génétique, dont la certitude fait sens unique et n’appelle aucune interprétation. La chaîne génétique, composée de ses lettres fixes, exclut la contingence, la dimension psychique de l’être parlant et tous ses effets de subjectivité ainsi relégués au rang de préhistoire humaine.

Ainsi l’identité du sujet est-elle multiple et sa définition varie selon qu’elle se réfère au genre, à la culture ou la fonction, qu’elle s’inscrive dans un discours sociologique, anthropologique ou biologique. La psychanalyse permet de mettre en lumière la disjonction entre l’image du sujet, à la fois masque et support identitaire, et la vérité intime de son être. Bienvenue à Gattaca nous introduit à une réflexion sur la faille autour de laquelle le désir du sujet est à l’œuvre, marquant son rapport au monde, son style, son identité singulière face au réel opaque de son propre mystère.

[1] Niccol A., Gattaca, USA, 1997, France, 1998 sous le titre Bienvenue à Gattaca. [2] Freud S, « La négation » (« Die Verneinung ») (1925), Résultats, idées, problèmes, tome II, Puf, 1998, p.136-137. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, « La logique du fantasme », leçon du 30 mai 1965, inédit.

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« Victime réelle ? »

Le 11 mai, lACF-Belgique invitait, pour préparer PIPOL 7, le psychanalyste israélien Khalil Sbeit, membre de la NLS, à converser avec Gil Caroz sur le thème « Victime réelle ? » A-t-on accès au réel de la victime ? Telle était la question qui sous-tendait cette rencontre. Elle fut animée par Jean-Daniel Matet, directeur de PIPOL 7.

La conversation avec Khalil Sbeit n’a laissé personne indemne, tant cette soirée fut traversée par une recherche vive des conditions nécessaires pour se rendre à l’impossible rencontre du réel de l’autre, éclairée par la rencontre des sonorités des langues étrangères, française, anglaise, hébraïque.

Khalil Sbeit, psychanalyste israélien à Haïfa, fait partie de la minorité palestinienne dite « arabe-israélienne ». Il a mis au travail la question : « Quel est le destin du symptôme, le nom clinique pour la vérité en termes freudiens, dans la réalité politique, telle qu’elle existe dans les territoires palestiniens et dans les conditions de l’occupation ? »

Il a organisé des réunions avec Palestiniens et Israéliens, que le conflit départage, pour faire le pari de parler ensemble du symptôme, dont la singularité est recouverte par ce même conflit et par l’écran du destin tragique des occupés.

Khalil Sbeit nous a exposé sa thèse concernant le trauma : l’éthique de la psychanalyse « rend possible la traversée du fantasme et le détachement des éléments de jouissance liés ensemble dans la rencontre avec l'expérience traumatique tirée de la position de la personne affligée comme victime / objet ». Elle permet au sujet une traversée de son fantasme en y repérant les éléments de sa jouissance, ce qui lui donne chance de se distinguer de la position de victime, à laquelle il se trouve jusque-là comme assigné.

Gil Caroz y a ajouté que la chute des identifications liées au Nom-du-Père, dans l’analyse, est la condition de possibilité de converser avec l’autre, chacun étant marqué par des idéaux puissants opposés. Une perte est ici la condition de la conversation.

Patricia Bosquin-Caroz a précisé que cette perte est liée au désinvestissement libidinal des identifications, en résonance avec « la responsabilité subjective qui touche aux conséquences de ce “destin” », à entendre comme trauma, comme ce qui a fait événement.

Pour Khalil Sbeit, la reconnaissance de l'événement est ainsi nécessaire à l’extraction subjective du poids de l'expérience traumatique. La « reconnaissance », celle qui dit : « Cela a eu lieu », est une condition de l’extraction de la jouissance condensée à cet endroit, mais celle qui demande « pardon d’avoir commis des erreurs » ne permet aucunement de résorber ce qui est en jeu, voire risque même de nourrir insidieusement ce qui n’est pas comptable. Le symbolique ne peut résorber complètement le réel en jeu du trauma, qui laisse une trace indélébile sur le corps : à chacun de savoir y faire !

La condition du lien avec l’autre ne relève d’aucune compassion, qui prétendrait recouvrir le réel singulier de chacun, mais bien plutôt d’un savoir : le réel de chacun n’est en rien partageable.

Le discours analytique est le refuge par excellence pour celui qui veut se déshabiller de « la cape du symptôme collectif » afin d’affronter son sinthome et parier sur un regain de vie.

Khalil Sbeit nous a transmis une trajectoire : réfugié meurtri, il a trouvé à se loger dans le discours analytique et est devenu celui qui invente de nouveaux abris pour d’autres.

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Écho de l’ACF-Île-de-France

La psychanalyse dans la cité

Le mardi 19 mai s’est tenue l’assemblée consultative de l’ACF-ÎdF sous la présidence de Christiane Alberti. Cette AC a permis de ponctuer la transition entre l’ancien et le nouveau comité régional. À cette occasion, Marie-Hélène Brousse, invitée à nos débats, nous a livré en avant-première le sommaire détaillé du numéro 90 de La Cause du désir.

Cette rencontre fut l’occasion pour le nouveau comité régional de proposer une intervention à plusieurs voix donnant lieu à des échanges variés et rythmés. Une grande partie du débat s’est concentré sur le syntagme « la psychanalyse dans la cité ».

Le comité régional souhaite en effet donner une impulsion forte à cet aspect du travail dans l’Île-de- France : librairies et cinémas de quartier sont déjà démarchés pour tisser des partenariats qui suivent leurs programmations. Ainsi, le film Selma de Ava DuVernay a été suivi, lors de sa séance du 7 mai au Ciné 220 de Brétigny-sur-Orge, d’un débat avec le public orchestré par deux de nos collègues ; la librairie Antoine de Versailles recevra le 4 juin deux des auteurs de La Cause du désir pour présenter le numéro « Corps de femme ».

Dans la même perspective : des médiathèques du 91 sollicitent notre intervention pour animer des échanges destinés à un large public (proposition de deux séances en octobre et décembre aux Ulis sur le thème « parents/ados » et un possible réseau de quatorze médiathèques !). Un lycée du 94 verrait d’un très bon œil qu’un psychanalyste de notre champ intervienne en classe de philosophie pour faire vivre avec nos signifiants l’œuvre de Freud et le retour opéré par Lacan sur celle-ci. À Saint-Cloud, le collège Charles Gounod ouvrira ses portes à nos collègues du bureau de ville, une conférence sera donnée par un membre de l’École le mardi 9 juin à l’adresse des profs et des parents d’élèves sous l’intitulé : « Ados, victimes des réseaux sociaux ou non ? ». Ajoutons à cela les séances de Café psychanalyse déjà bien ancrées à Châtillon et à Bourg-la-Reine par exemple.

Enfin, pour faciliter le travail de terrain, un flyer est à l’étude pour que nous puissions laisser une « carte de visite » de l’ACF-ÎdF à nos partenaires potentiels.

Les remontées de terrain nous donnent à penser que beaucoup, parmi les acteurs de la cité, sont prêts à s’ouvrir à l’orientation lacanienne. Est-ce le signe d’un début de retour du mouvement de balancier qui prédisait la fin de la psychanalyse ? C’est ce que nous voulons croire et c’est ce que nous développerons (entre autre) lors du mandat en cours.

Régulièrement, des échos de l’ACF-ÎdF seront proposés à l’équipe de rédaction de l’Hebdo-blog, pour que chacun puisse mesurer les choses et… participer à l’aventure ?

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Relatos salvajes : le refus acharné d’être victime

Victime – s’en servir, s’en sortir ! Sous ce titre, la soirée intercartels du lundi 8 juin prochain, organisée par L’Envers de Paris et l’ACF-IdF questionnera les usages de la position de victime, mais aussi les façons de s’en sortir. Nous y entendrons six exposés de cartellisants, produits de cartels fulgurants constitués depuis quelques mois en préparation à la rencontre PIPOL7. Chacun, de sa place, tentera de démontrer comment un sujet peut utiliser ce signifiant dans une logique singulière servant d’appui à la jouissance du corps parlant. Guy Briole, invité d’honneur, présidera les échanges et animera la soirée. Nous vous y attendons. Pour vous faire patienter, voici un texte de Marcelo Denis issu de l’un de ces cartels fulgurants.

Le dernier film de D. Szifron, Relatos Salvajes[1], sorti en Argentine en 2014, se compose de six histoires contemporaines unies par un fil rouge que nous pourrions nommer ainsi : un refus radical du statut de victime.

  1. Un homme, dont on apprendra qu’il s’est vécu en position de victime pendant de longues années, décide de se venger. Il réunit dans un avion tous ses supposés bourreaux et prend les commandes de l’appareil pour le faire s’écraser...
  2. Dans un restaurant d’autoroute, une serveuse et une cuisinière voient débarquer un client particulier: le coupable de la faillite et du suicide du père de la serveuse. Un dialogue s’engage entre les deux femmes sur la conduite à tenir. La jeune serveuse veut lui dire quelque chose, pour la cuisinière les mots ne suffisent pas, elle décide de l’empoisonner…
  3. Sur une route déserte, deux automobilistes se croisent, chacun venant incarner la figure de l’Autre jouisseur. S’ensuit une lutte à mort entre eux, aucun des deux ne voulant être victime de l’Autre.
  4. Un ingénieur en explosifs, père de famille, se retrouve victime de la fourrière. Sa femme le confronte alors au réel de sa jouissance : « culpabiliser l’Autre de tout », tandis que la logique bureaucratique se dévoile dans sa bêtise et son obscénité. Se voyant tout perdre, il fait exploser le centre d’encaissement des amendes. Le sujet retrouve sa dignité en prison…
  5. En rentrant d’une soirée arrosée, un adolescent renverse et tue une femme enceinte. Qui est la victime ? La femme enceinte écrasée par une voiture ? L’adolescent à qui on ne laisse pas assumer sa responsabilité ? Ou encore, celui qui accepte d’être coupable à sa place ?
  6. Lors d’un mariage en grande pompe, la mariée apprend que non seulement son mari l’a trompée, mais que, de plus, sa maîtresse est à son mariage. Refusant d’être une victime accablée, elle passe à l’acte. Résolue à mener la fête à ses dernières conséquences, la victime supposée devient bourreau…

Dans cette lutte pour s’émanciper de la tyrannie de l’Autre, le sujet ne reculera pas devant l’extrême, voire la mort, serait-ce la sienne propre. Le film met en scène l’insupportable que peut être la position de victime lorsqu’elle objective le sujet dans son rapport à la jouissance. Réduit à une position de victime dont l’Autre pourrait se servir et jouir, le sujet peut être confronté à sa propre mort subjective. C’est lorsqu’ils touchent ce point d’insupportable que les personnages de Szifron passent à l’acte. C’est en tant que déjà morts qu’ils ne reculent pas à choisir le combat à mort avec l’Autre. Si la pulsion en jeu dans leur subjectivité peut se trouver saturée par le statut de victime, elle peut aussi s’en extraire soudainement. Ce film illustre finalement comment, devant la présentification de son être d’objet, un des derniers recours du sujet peut être le choix d’exister par cette prise de risque qui peut aller jusqu’à la mort. Ce qui reste visé, au-delà d’une éventuelle mort réelle, c’est avant tout la mort de l’être victime. Szifron met en jeu le réel du corps dans un passage à l’acte qui semble s’apparenter à un dire sauvage.

[1]. Littéralement « Récits sauvages », diffusé en français sous le titre : Les nouveaux sauvages. Nous avions publié un premier texte sur ce film, de Victor Rodriguez, dans la rubrique Arts et Lettres de L’Hebdo-Blog du 26 avril dernier.

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Une adolescente branchée sur la voix de l’Autre

La consultation au CPCT se fait à la demande de l’éducatrice de Jeanne qui a des relations difficiles avec sa mère, un goût pour la rue et pour la marginalité.

Jeanne est une adolescente de dix-sept ans, au look androgyne, gothique. Elle craint les moments de solitude car les « mauvais souvenirs » l’assaillent alors, liés à un événement traumatique du passé et elle ne sait plus comment trouver un soulagement. Il lui vient des « mauvaises pensées » : elle a des idées noires et se scarifie. Deux ans auparavant, elle a fait une tentative de suicide en ingérant une grande quantité de médicaments prescrits à sa mère. Son intention était de « s’endormir » pour oublier ses problèmes.

Lors de la deuxième séance, aussitôt entrée dans le bureau, elle paraît paniquée et me demande si elle peut brancher son téléphone car elle n’a bientôt plus de batterie et « ça l’embête que son petit ami ne puisse pas l’appeler ». Elle semble soulagée que j’accepte sa demande. Je saisis cet événement contingent pour m’intéresser à la position subjective de Jeanne dans son usage de l’objet téléphone portable.

Elle explique qu’elle et son copain « sortent ensemble » depuis quelques mois seulement mais restent « connectés » en permanence par leurs téléphones, qu’ils laissent branchés nuit et jour, sept jours sur sept. Lorsqu’ils sont séparés, elle reste rivée à son téléphone, en espérant qu’il lui envoie des sms. Elle ne sait pas si elle est amoureuse de lui, précise-t-elle, mais « il me rassure ».

Il arrive souvent à Jeanne d’appeler son ami en pleine nuit lors d’une insomnie. Celui-ci se prête au jeu, quelle que soit l’heure, et semble valorisé par ce rôle.

Elle est sûre qu’il aura laissé son téléphone allumé et répondra à son appel. Cette pensée a davantage un caractère magique apaisant qu’une valeur de certitude.

Jeanne aime prendre des risques et expérimenter de nouvelles sensations ; elle prend de l’ecstasy et du LSD dans des rave party, malgré les mises en garde de sa mère. Elles se sont souvent disputées à ce sujet mais sa mère, débordée et dépressive, a finalement cédé, ne parvenant pas à faire respecter son autorité et à limiter la jouissance de sa fille. Jeanne raconte, non sans ironie, que son ami, lui aussi, n’est pas content de ses expérimentations. C’est un sujet de dispute avec lui, mais elle ne lui en tient pas rigueur, et ils sont parvenus à un compromis : elle l’appellera régulièrement au téléphone durant ses virées.

Que représente l’autre pour Jeanne ? Sans le formuler explicitement, elle adresse à son ami un appel pour qu’il la protège contre un réel, celui de la pulsion de mort dirigée contre son propre corps.

Par ses appels, elle s’assure de la présence et de la disponibilité d’un petit autre, même pendant son sommeil. La relation de co-dépendance qui s’est établie autour du téléphone fait écho aux différents laisser tomber parentaux douloureusement vécus par Jeanne : absences répétées du père, défaut de protection de la mère.

L’objet téléphone, en permettant un accès sans limite au partenaire, traite le laisser tomber et les angoisses auxquelles Jeanne est confrontée lors de ses insomnies à répétition. À défaut de trouver un regard pacifiant et rassurant, c’est l’objet voix qui est sollicité à travers le combiné du téléphone, soutenu par la croyance que le partenaire sera toujours là pour répondre. La voix vient réconforter et traiter le plus-de-jouir de Jeanne qui se satisfaisait auparavant dans la scarification du corps, jouissance mortifère.

Au-delà d’une addiction potentielle, cette dépendance à l’objet téléphone portable est une tentative de solution du sujet pour suppléer à l’impossible de la séparation d’avec l’objet, notamment maternel, et à l’insupportable de l’Un-tout seul. À ce titre, je me suis gardé de tout jugement sur cette modalité du lien à son partenaire. Je l’ai accueillie comme une trouvaille temporaire, qui n’a pas la valeur d’une solution pérenne mais est un aménagement de son lien à l’Autre qui met en valeur la fonction de l’objet voix pour elle. En m’intéressant à sa trouvaille et en lui permettant de mettre en paroles et d’élaborer une situation qui s’est installée de façon intuitive, dans laquelle la pulsion et l’angoisse ont un rôle prépondérant, ma position a été de faire tiers dans la relation duelle avec son petit ami et, peut-être, de redonner un peu de crédit à sa parole et une écoute adulte qui a fait défaut dans le passé.

Est-ce que Jeanne s’est abonnée à la parole grâce au dispositif du CPCT ? Il est sûrement trop tôt pour le dire. Il lui arrive encore, lorsqu’elle rate ses rendez-vous, d’avoir la délicatesse de nous envoyer un sms...

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The Case Against Adolescence de Robert Epstein

ADOMANIA, ADOBASHING, WHAT ELSE ?

Après s’être méfiés des ados, voilà qu’aujourd’hui les adultes les envient. Le mouvement américain bien nommé « Mortified » incite des adultes en mal de réconciliation avec eux-mêmes, à lire en public des passages embarrassants de leur journal intime d’adolescent pour « expurger leur teen […] voire le revendiquer »[1]. Mais l’opprobre a-t-elle pour autant disparu ? Robert Epstein, découvert pour nous par Jacques-Alain Miller, propose sur ce point une thèse décidée qui n’est pas sans conséquences politiques. Alexandre Stevens rectifie.

Lors de la troisième journée de l’Institut de l’Enfant[2], Jacques-Alain Miller a présenté l’adolescence comme une construction à partir de perspectives qui ne se recouvrent pas – chronologique, biologique, comportementale, cognitive, sociologique ou encore artistique. Une construction peut toujours être défaite et il fait remarquer l’entrain communicatif avec lequel Robert Epstein déconstruit le concept même d’adolescence. C’est ce qu’exprime précisément le sous-titre de l’ouvrage : « Rediscovering the Adult in Every Teen »[3].

R. Epstein affirme sa thèse dès le premier chapitre « Le Chaos et la Cause ». Ce n’est que depuis la fin des années 1800 que ce temps de la vie est isolé du monde des adultes dans le but de traiter la supposée difficulté de l’adolescence et le désordre de ces jeunes. Or, soutient-il, c’est le contraire qui se produit : ce décalage, loin de traiter les problèmes des adolescents, les produit. La « crise » de l’adolescence que nous pouvons observer est la conséquence imprévue de cette prolongation de l’enfance. Jamais en effet au cours de l’histoire, il n’y a eu autant de lois ou de règlements qui restreignent les choix des teenagers – selon le terme anglais qu’il préfère visiblement à celui d’adolescent. C’est qu’en effet il reproche à notre société occidentale, surtout américaine, de considérer les ados à partir seulement de la chronologie, de l’âge.

Ces restrictions qui touchent les teens sont porteuses parfois de paradoxes insensés, comme celui-ci : dans certains États américains, des hommes politiques veulent interdire de fumer aux moins de 21 ans, sous prétexte qu’avant cet âge on n’a pas un jugement assez clair sur les conditions de santé. Mais dans le même temps des dizaines de milliers de jeunes américains de 18 ans sont envoyés au feu en Iraq sans qu’on pense que leur jugement serait insuffisant pour mesurer que cela pourrait leur être néfaste.

R. Epstein dénonce les incohérences du système. En ce sens, il renverse quelques évidences du discours courant. Tous les ados sont-ils capables de prendre seuls leurs responsabilités ? Non, bien sûr. Mais tous les adultes non plus et certains jeunes y arrivent parfaitement. Il va plus loin : c’est parce qu’on pense qu’ils sont incapables d’être responsables qu’ils ne prennent souvent pas les décisions qu’ils seraient, sinon, aptes à prendre. Bref, on infantilise trop les teens. Il propose d’ailleurs un test d’infantilisation pour que chacun puisse la mesurer. Penser les ados moins capables que les adultes, rappelle, selon lui, qu’il y a peu, de nombreux Américains pensaient les noirs inférieurs aux blancs et les femmes plus faibles que les hommes.

Il examine en détail la série des « troubles » des adolescents et les limites qu’on leur impose. L’amour et la sexualité sont-ils plus raisonnablement assumés par les adultes ? Pourquoi penser qu’une fille de 13 ans serait inapte à décider librement d’avoir des relations sexuelles avec un garçon de 25, si elle y tient ? R. Epstein va loin dans sa perspective et le sait, car il prend la précaution de dire qu’il ne peut répondre simplement à cette question dans ce qu’est la société américaine aujourd’hui. Il répond cependant que même si on lui en refuse le droit, une fille de 13 ans est bien capable de ses choix sur ce plan. De même pour le mariage. Il croit dans les sentiments réciproques, c’est-à-dire qu’il croit au rapport sexuel.

Et puis pourquoi les teens ne pourraient-ils pas décider de fumer, de boire, de conduire s’ils ont démontré qu’ils peuvent le faire. On dira qu’ils ne sont pas encore assez raisonnables ? Mais combien d’adultes ne conduisent-ils pas après avoir bu ? Il en est de même pour l’armée et le risque pris en s’y engageant. D’ailleurs l’histoire de France ne serait pas ce qu’elle est si Jeanne d’Arc n’avait pu porter les armes.

Aucune raison de biologie cérébrale, ni de mesure cognitive (test de QI) ne permet de penser que les adolescents seraient insuffisamment développés. Et les lois religieuses vont dans le même sens : Marie a eu Jésus à l’âge de 13 ans, Jésus enseignait au temple à 12 et chez les Juifs la Bar Mitzvah a lieu peu après la puberté. D’ailleurs si les teens des USA sont les plus tourmentés du monde, rien de tel n’existait chez les aborigènes australiens où le passage de l’enfance à l’état adulte se faisait par un simple rite peu après la puberté.

Pour R. Epstein, tous les troubles des adolescents tiennent à leur infantilisation. La preuve lui en est donnée deux fois par Freud : d’abord Sigmund n’a pas vraiment considéré le concept d’adolescence, mais insisté seulement sur la vie adulte et l’infantile ; ensuite Anna, qui a reçu de son père une instruction très stricte pendant son adolescence, a décrit les troubles des teens et les siens propres ! Voilà la preuve : Freud ne croit pas à l’adolescence, mais en a produit les troubles chez sa fille en l’infantilisant.

Cette déconstruction de l’adolescence qu’opère ainsi R. Epstein attire une certaine sympathie. Et on peut même y trouver certaines positions proches des nôtres dans les cinq idées de base qu’il propose : chacun est unique ; les compétences individuelles valent plus que les a priori qu’on peut avoir ; chacun a un potentiel irréalisé ; les étiquettes diagnostiques type DSM sont dangereuses.

De plus, quand il décrit le développement et les drames de l’adolescence comme n’étant pas déterminés par la seule transformation hormonale, nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui. Toutefois pas pour la même raison ! Il dénonce l’infantilisation des ados qu’il met à l’origine des phénomènes de l’adolescence, alors qu’avec Lacan nous considérons l’adolescence comme un symptôme de la puberté dès lors que tout cela ne se produirait « pas sans l’éveil de leurs rêves »[4].

Chez R. Epstein, il n’y a aucun réel rencontré par le sujet. La puberté y est plutôt un moment symbolique particulier. Pour le reste tout est calculable par des tests, qu’il nous propose d’ailleurs, test d’infantilisation et surtout tests de compétences. Il ne s’agit bien sûr pas de donner toutes les libertés aux ados. Au contraire il s’agit d’évaluer les compétences de chacun d’entre eux. Comme il le dit très simplement : « maintenant nous devons prendre un nouveau point de vue sur les teens en les évaluant sur la base de leurs compétences individuelles »[5]. Le test de compétences deviendrait ainsi le nouveau rite de passage dans nos sociétés occidentales ?

Certes la société va résister à le suivre sur cette voie, dit-il, spécialement pour des raisons économiques parce que l’invention du terme « adolescent » a donné lieu au développement de tout un marché à leur intention.

Mais enfin il n’est pas difficile de saisir que si tant d’adultes sont finalement aussi infantiles et peu responsables que certains teens, mieux vaudrait évaluer tout le monde. Le projet sympathique d’un peu de liberté calculée pour les jeunes pourrait bien se transformer en une obscène évaluation généralisée.

[1] ELLE du 22 mai 2015.

[2] Le 21 mars 2015.

[3] Epstein R., The Case Against Adolescence : Rediscovering the Adult in Every Teen, Quill Driver Books, 2007.

[4] Lacan J., « Préface à L’Éveil du printemps », Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 561.

[5] « now we need to take a fresh look at teens, evaluating them based on their individual abilities ».

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