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À Marseille, on a aussi parlé d’amour

Par Sonia Chiriaco
13 juillet 2015
À Marseille, on a aussi parlé d’amour
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« On ne parle que de ça depuis longtemps, de l’Un »[1], c’est ce que dit Lacan. Il n’y a aucune raison pour qu’on ne continue pas à en parler. Mais parle-t-on d’amour aujourd’hui comme au temps de Freud ou même du Lacan de 1973 ?

« C’est trop tôt pour savoir si j’ai des sentiments », dit une jeune fille qui entretient une relation depuis bientôt un an.

Un jeune homme, qui a la même partenaire depuis des mois, énonce prudemment qu’il ne sait pas encore s’il est amoureux : « Je ne donne pas ma confiance comme ça ! » avoue-t-il.

« Avec B. ça va de mieux en mieux – dit une autre –. Sur le plan du sexe, c’est parfait, mais je ne sais pas encore si on pourra aller plus loin, c’est encore un peu tôt pour savoir ».

Et cette jeune femme, qui ose avouer à l’analyste : « J’ai honte de vous dire que je l’aime ; alors, à lui, je ne pourrai jamais le dire ».

Ou celle-ci : « Parler de sexe, ça va, mais pour parler d’amour, je serais plus prudente, on verra plus tard ».

Ces propos sont ceux de tout jeunes analysants, presque encore adolescents. Ils nous disent que l’amour, c’est pour plus tard, c’est compliqué, c’est dangereux. Ils ont surtout bien plus de mal à parler d’amour que de sexe.

Pour eux, l’amour apparaît plus précieux que les relations sexuelles qui débutent précocement et longtemps avant l’état amoureux. Avec l’apparition du désir sexuel, c’est tout de suite le partage du plaisir des corps, la jouissance du corps de l’Autre ; or, on le sait avec Lacan, la jouissance ne concerne que le corps de l’Un.

S’il y a bien attente, comme le remarquait Freud au siècle dernier, elle a changé de camp : l’attente ne porte plus sur le sexe, mais sur l’amour.

Ces observations remettraient-elles en cause l’aphorisme de Lacan du Séminaire X, selon lequel « Seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir » ?[2] Cet aphorisme veut d’abord dire que plutôt que jouir tout seul de son propre corps, on passe par le désir du corps de l’Autre ; ce désir s’éprouve à travers l’amour, c’est-à-dire dans la rencontre d’un manque, le regret d’une absence. Or, ici, pas de manque, plutôt un court-circuit. On assiste alors à une sorte de renversement de la formule lacanienne qui pourrait s’énoncer ainsi : « Le désir permet à la jouissance, sous certaines conditions, de condescendre à l’amour ».

Comme le dit très bien cette analysante, « Je ne sais pas encore si on pourra aller plus loin ». « Aller plus loin », cela veut dire aimer, et non coucher, ce qui est tout le contraire de ce qu’il se passait à l’époque de Freud, surtout pour les jeunes filles qui attendaient leur heure, c’est-à-dire le mariage.

Aujourd’hui, condescendre à l’amour, c’est cela qui paraît difficile. L’amour, les sentiments, sont presque devenus des gros mots, difficiles à prononcer, ce qui contraste d’ailleurs avec la crudité du langage sexuel que l’on peut constater, notamment parmi les plus jeunes.

Certes, notre époque, qui est aussi celle de la pornographie généralisée, met à jour plus que jamais la jouissance du Un ; elle n’en a pas pour autant éliminé une certaine idéalisation de l’amour, qui n’a rien à envier à l’amour courtois. Dans l’amour courtois, le désir devait rester inassouvi et c’était l’impossibilité de l’assouvir qui faisait grandir à la fois le désir et l’amour. Aujourd’hui, on offre son corps bien avant de donner sa confiance et l’amour vient de surcroit. En termes lacaniens, on ne donne pas son manque facilement.

Si l’amour est ainsi différé, parfois pour longtemps, parfois pour toujours, il apparaît bien séparé du désir, tout comme Freud l’avait repéré, et il peut rester idéalisé.

Cette nouvelle forme d’idéalisation de l’amour n’est sans doute pas sans liens avec la fragilité des couples de notre époque. Mis en place de vérité, l’amour déçoit vite, il a du mal à résister au couple. Ainsi, la moindre faille qui apparaît chez l’Autre le fait chuter. On change alors de partenaire, car ce n’était pas lui, ce n’était pas elle et l’on ne s’en arrange pas.

Sur cette question, hommes, femmes, hétérosexuels ou homosexuels se rejoignent. Pour tous, le partenaire est à l’image des objets de consommation courante, on le prend, on le jette s’il ne convient plus.

Au fond, le clivage du désir et de l’amour reste conforme aux considérations freudiennes, mais sous une forme inversée. Chez Freud, l’insatisfaction était aux commandes : faute de jouir, il restait à désirer. Avec le renversement actuel, on jouit d’abord, on court-circuite le désir et il reste à aimer. C’est la volonté de jouissance qui est aux commandes avec l’impératif surmoïque « Jouis !». Quant au désir, comment serait-il assouvi puisqu’il ne cesse de courir ? Freud nous l’a appris, le désir est toujours désir d’autre chose.

« Aussi étrange que cela paraisse, je crois que l’on devrait envisager la possibilité que quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle ne soit pas favorable à la réalisation de la pleine satisfaction »[3], énonçait-il en 1910. Une phrase que nous lisons désormais à la lumière de la formule de Lacan « Il n’y a pas de rapport sexuel ».

C’est cela : à la place du rapport sexuel qui n’existe pas, les parlêtres ont inventé l’amour.

Et on en parle encore !

[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 12.

[2] Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 209.

[3] Freud S., La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, p. 64.

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